« Grossir la ferme ? Un facteur de comorbidité »

A Amplepuis (Rhône), Céline et David Filleton vont à nouveau subir les affres du confinement, avec l’interruption des livraisons de yaourts dans les lycées et collèges, doublée d’un impact sur les marchés. Adieu aussi leur toute première semaine de vacances programmée mi-avril. Le répit viendra avec la future installation du fils ainé, sans pour autant agrandir la ferme.

« A chaque fois que vous avez un ministre qui parle le soir, vous pouvez être sûr que le lendemain, vous avez moins de monde sur les marchés, surtout ceux situés à proximité de la ville ». Depuis maintenant un peu plus d’un an, le covid a réveillé le virologue, l’épidémiologiste et le vaccinologue qui sommeillent en chacun de nous. Chez David Filleton, la crise a révélé le sociologue, un observateur avisé des comportements de ses clients. L’éleveur fait la distinction entre les ruraux et les urbains. « Dans les marchés de village, les clients n’ont pas déserté ma vitrine mais plus on se rapproche de la ville, plus on perd des clients, déclare-t-il. Il y en a que je n’ai pas revus depuis un an. Je sais très bien où ils sont. Ils sont dans les grandes surfaces, dont les parkings sont pleins comme jamais le lundi matin, jour où je livre des établissements scolaires de Roanne. Enfin, quand les écoles sont ouvertes ».

En limite des départements du Rhône et de la Loire, David et Céline Filleton élèvent sur 56 hectares un troupeau de 40 Holstein à 9.000 kilos de moyenne, livrant 240.000 litres à Sodiaal et transformant 100.000 litres en fromages et yaourts. Une exploitation qui roule, moyennant 80 heures de travail par semaine et par tête, entre traite et soin des bêtes, gestion des fourrages, fromagerie, livraison des écoles et des hôpitaux et présence sur cinq marchés hebdomadaires, dont deux aux alentours de Roanne (Loire).

David Filleton, sur le marché de Ouches : « j’aime bien mon métier mais si on m’enlève les marchés, je suis pas persuadé de finir dans ce métier »
David Filleton, sur le marché de Ouches : « j’aime bien mon métier mais si on m’enlève les marchés, je suis pas persuadé de finir éleveur »

-30% de chiffres d’affaires sur un an

La décision de refermer les établissements scolaires est une douloureuse piqure de rappel pour la Maison Filleton, qui a perdu gros en 2020, avec la fermeture deux mois durant des écoles et de quatre des cinq marchés de plein vent. « On vient tout juste de clôturer l’exercice mais j’anticipe une baisse de chiffre d’affaires de 30%, explique l’éleveur. La vente directe, c’est peut-être 50% du chiffre mais 70% du revenu ».

L’exploitation tient le choc. Depuis trois ans, la fabrication de yaourts a donné un coup de fouet à la vente directe, notamment en direction de collèges, de lycées et d’établissement de santé. Avec la suppression soudaine de ce débouché, le lait partira à la coopérative. « Dans l’histoire, on a quand même un coup de chance, c’est que le confinement coïncide à chaque fois avec la mise à l’herbe, une période où je perds entre 3 et 5 kilos de lait par vache par rapport à ma ration mélangée aux petits oignons. L’an dernier, j’ai des collègues à qui on a refusé le surplus de lait pour cause de covid alors que les Français ont continué de manger, c’est pas très coopératif ».

Céline Filleton gère notamment la fabrication des formages et des yaourts, arômes naturels généreusement dosés et garantis sans poudre de lait
Céline Filleton gère notamment la fabrication des formages et des yaourts, arômes naturels généreusement dosés et garantis sans poudre de lait

L’obésité (des exploitations), facteur de comorbidité

Au premier confinement, l’éleveur a renoncé aux sirènes d’une grande surface intéressée par ses yaourts. « Vendre quatre yaourts 96 centimes pour les retrouver à 2,79 euros en rayon, non merci ». David Filleton estime son coût de production à environ 22 centimes le pot, sur la base d’un prix du lait à 330 euros les 1000 litres et incluant le pot, la capsule, les arômes naturels, l’amortissement du pasteurisateur et du camion. « Mais tout ça se fait tout seul bien entendu ».

"Le confinement a fait figure de pré-installation pour mon fils, je vois le bonheur arriver"

La charge de travail est le maillon faible de la Maison Filleton qui commercialise également une douzaine de veaux de lait en caissettes sur les marchés. Un produit bien mieux valorisé que la vente au marchand de bestiaux et qui permet en prime d’écouler du lait qui aurait été déprécié par la laiterie. « Un vrai veau de lait sur la sciure », précise l’éleveur.

Pendant le premier confinement, qui a vu le fiston scolarisé au lycée agricole de Roanne-Chervé (Loire) revenir sur la ferme dès le mois de mars, le couple s’est projeté dans l’avenir. « Mon fils de 17 ans a déjà une botte dans la salle de traite, explique David. Le confinement a fait figure de pré-installation pour lui, on s’est projeté dans quelques années, je vois le bonheur arriver. Et pas question d’agrandir la ferme : grossir, c’est un facteur de comorbidité, comme ils disent à la télé ».

La semaine de congés de la décennie

Un an et deux confinements plus tard, le couple s’était de nouveau remis à rêver, mais cette fois de vraies vacances organisées par leurs trois enfants, dont un « chti » âgé de dix ans. « Pour les 50 ans de mon mari, on devait partir mi-avril une semaine tous les deux dans le Midi, ma fille et mon gendre avaient posé une semaine de congés pour s’occuper de la fromagerie et des marchés, tandis mon fils avait décalé son stage en exploitation pour s’occuper de la traite, déclare Céline, les yeux rougis. Le troisième confinement a mis tout par terre ».

Le projet est reporté au mois d’août, avec toute la famille, un rituel instauré il y a bientôt dix ans et que rien n’empêchera. 67 millions de virologues sont d’accord. Enfin presque.

David Filleton dans sa salle de traite, avant de filer au marché
David Filleton dans sa salle de traite, avant de filer au marché