Guerre : "la remise en route des ports ukrainiens va être longue"

Depuis un mois, les exportations ukrainiennes sont réduites à peau de chagrin en raison de la guerre. Les conséquences se font déjà sentir dans les pays importateurs qui ne peuvent supporter la flambée des prix des grains.

Depuis le 24 février dernier, jour de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les ports ukrainiens sont fermés. « Ils sont soit minés, soit entravés, soit bombardés », fait savoir Jean-François Lépy, directeur de Soufflet Négoce et vice-président du Synacomex (syndicat du commerce extérieur des grains). Selon lui, il n’y a pas de doute : « La remise en route va être longue ».

Conséquences : les échanges maritimes du plus gros exportateur mondial d’huile de tournesol, du 4e exportateur mondial de maïs et du 5e exportateur mondial de blé sont à l’arrêt, entraînant un risque de sécurité alimentaire dans les pays importateurs, une hausse phénoménale des cours des matières premières agricoles et la crainte d’une baisse de la production mondiale pour les prochaines campagnes.

Ferroviaire : un plan B complexe

L’Ukraine avait cette année un potentiel d’exportation de 24,5 millions de tonnes (Mt) de blé tendre et de 34 Mt de maïs. A fin février, il restait près de 7 Mt de blé et 15 Mt de maïs à exporter. Malgré des flux terrestres fortement perturbés, des solutions de transferts des grains par train ont été mis en place. Une faible part des volumes parvient ainsi à franchir les frontières par voie ferroviaire, à destination de la Pologne, de la Slovaquie, de la Hongrie et de la Roumanie. La logistique de transport des grains par voie ferroviaire est cependant compliquée en raison de la différence d’écartement des voies entre l’ancien bloc soviétique et les pays frontaliers, explique Jean-François Lépy. « Environ 18 000 tonnes par jour sont exportées par les terres, ce qui correspond à peu près à 7% de la capacité de transport maritime en temps normal », indique-t-il. Il estime qu’« au mieux, on pourra sortir 1 à 1,5 million de tonnes de grains d’ici le mois de juin » sur les 22 Mt qui restaient à exporter.

De leur côté, les exports russes se poursuivent, bien que faisant face à la prudence des opérateurs en raison des difficultés d’accès à la mer Noire et aux sanctions financières internationales. « Les exports se feront malgré les sanctions, car les acheteurs ne peuvent s’en passer », affirme Jean-François Lépy. Au 15 mars, la Russie avait déjà exporté 24 Mt de grains. Il lui reste 6 à 8 Mt à exporter.

Manque de farine

Plusieurs pays à travers le monde (notamment en Afrique et aux Proche et Moyen-Orient) sont fortement dépendants des grains d’origine ukrainienne. La situation actuelle représente donc un enjeu de taille pour leur sécurité alimentaire et leur impose de rechercher d’autres sources d’approvisionnement, à minima pour les mois qui viennent. Des disponibilités existent en blé dans des pays traditionnellement exportateurs (Bulgarie, Roumanie, pays baltes, Allemagne, Etats-Unis, Argentine, Australie…). C’est le cas également de la France qui pourra, en fonction de ses propres disponibilités, vendre davantage de grains à certains de ses acheteurs traditionnels : Maghreb, Afrique de l’Ouest, Proche et Moyen-Orient et, plus récemment, la Chine.

Mais les niveaux de prix actuels mettent en difficulté de nombreux acheteurs. La Tunisie importe par exemple chaque année via ses acheteurs publics entre 1 et 1,2 million de tonnes de blé tendre, dont l’origine est entre 50 et 70% ukrainienne. Le pays dispose de peu de stocks et a des difficultés à mobiliser les fonds nécessaires à ses achats de céréales. « Le climat social est inquiétant », note Yann Lebeau, responsable du bureau de Casablanca d’Intercéréales, constatant que « la farine commence à manquer » dans certains secteurs.

La production de farine est également menacée dans plusieurs pays d’Afrique Subsaharienne. Au Mali par exemple, trois des six principaux moulins du pays ont d’ores et déjà cessé de fonctionner en raison des coûts trop élevés.

Développement des productions locales

Premier importateur mondial de blé, l’Egypte est particulièrement dépendant des origines russes et ukrainiennes, qui représentent 75% des achats de l’office public (Gasc) et 90% de ceux des opérateurs privés. En plus de se tourner vers de nouvelles origines, le pays cherche également à développer sa production et ses capacités de stockages locales. Pour de nombreux pays importateurs, « le développement agricole est un enjeu majeur », estime Jean-François Lépy. « Nous devons développer une stratégie d’accompagnement de nos pays importateurs partenaires vers leur sécurité alimentaire ».

Dans ce contexte de flambée des prix de l’énergie et des engrais, les risques sont cependant élevés de voir la production mondiale diminuer au cours des prochaines campagnes.

Pour l'Ukraine, les estimations de production pour la campagne 2021-2022 ont été largement revues à la baisse à la fois en raison du manque de semences, de main d’œuvre et de carburant. Elles font état d’une chute de 30% des surfaces de maïs et d’orges de printemps, et de 50% des surfaces de tournesol, ce qui est colossal au regard de l’importance du pays sur l’échiquier mondial. Par manque d’engrais, de carburant et de produits phytosanitaires, les rendements sont estimés en baisse de 20%. La production de céréales d’hiver risque elle aussi d’être amputée pour les mêmes raisons.