IA et agriculture : pour le meilleur et pour le pire ?

Le pôle de compétitivité Végépolys Valley a proposé un éclairage sur les avancées potentielles permises en agriculture par l’intelligence artificielle mais aussi les garde-fous à prévoir.

L’intelligence artificielle (IA), ou comment la machine reproduit l’intelligence humaine, a d’abord été un rêve fou d’écrivains futuristes avant de devenir bien réel sous les codes binaires des programmateurs. Ce qui hier encore paraissait n’être que pure science-fiction, est devenu réalité. Ces dernières semaines, la société médiatique s’est emparée du sujet sous l’émergence de chatGPT (entre autres), une application capable de tenir une conversation avec des propos troublants de réalisme. Bien avant lui, d’autres programmes informatiques ont fait réagir puisqu’ils peuvent créer des œuvres artistiques, photographiques et littéraires sans intervention de la main de l’Homme.
Lors de son assemblée générale, le 25 mai à Clermont-Ferrand, le pôle de compétitivité Végépolys Valley n’a pas caché son intérêt pour l’IA. Cette nouvelle technologique pourrait être source de réponses pour les quelque 500 entreprises et centre de recherche adhérents dans leur objectif commun de construire “des agricultures plus compétitives, plus qualitatives et respectueuses de l’environnement”, comme le décrit Séverine Darsonville, la présidente. L’IA serait ainsi capable d’aller au-delà de la réflexion humaine en réalisant ce que l’Homme n’a jamais pu accomplir : établir des prédictions.
Décider à la place de... plutôt que l’aider à décider
Plusieurs entreprises adhérentes à Végépolys Valley travaillent depuis plusieurs années à mettre la machine au service de l’Homme de sorte qu’elle l’accompagne dans ses décisions, quand elle ne décide pas elle-même.
L’Inrae, dans son unité robotique basée à Clermont-Ferrand, développe des approches algorithmiques pour le fonctionnement de robots agricoles. Ces engins doivent pouvoir faire face à une multitude de situations, de cultures... tout en ayant des interventions régulières. L’IA, espèrent les chercheurs, va permettre par sa capacité de calcul multifactoriel de développer un fonctionnement autonome des robots, quelle que soit la situation. “L’extrême variabilité des paramètres agronomiques entre un robot et son environnement, à la fois en termes de contrôle et de perception (météo, croissance des plantes...), nous limite dans l’approche de commande par les algorithmes. Nous devons pouvoir adapter en temps réel le comportement du robot en fonction de la situation et des tâches qu’il doit accomplir. L’IA va nous permettre d’avoir accès à cette variation, de modifier les paramètres de commande des robots et de maintenir leur comportement”, détaille Roland Lenain, directeur de recherche à l’Inrae. Toutefois, le chercheur, conscient des problématiques éthiques entourant l’IA, ne revendique pas un usage de cette technologie pour un contrôle direct mais plutôt pour une vérification de haut niveau.
Dans son projet Ortikat, le groupe Zekat, implanté à Angers, œuvre à dépasser cette contrainte. Luc Jarry et ses équipes souhaitent “proposer des outils d’aide à la décision capables d’offrir la solution à une problématique”. Pour se faire, l’entreprise va s’appuyer sur de nouveaux boîtiers télématiques, installés sur les engins agricoles. Grâce à l’IA, combinée à la collecte de données via ses boîtiers, le service sera en mesure d’analyser en temps réel le travail de l’outil et de proposer d’autres usages et configurations pour en améliorer l’efficience. “Elle sera également en mesure d’optimiser les processus lors des chantiers de récoltes, sans oublier l’observation des cultures, du sol...”
Enfin, le projet de l’entreprise Kermap de Rennes est moins méconnu puisqu’il concerne directement la lecture des images satellites rappelant le fameux système 3 STR récemment mis en place pour le contrôle de la Pac. L’entreprise, qui dans un premier temps s’est développée sur la cartographie satellitaire de la végétation urbaine, s’est tournée depuis trois ans vers l’agriculture avec des solutions de suivi parcellaire. “Nous nous sommes orientés vers ce domaine parce que de plus en plus d’initiatives, menées par des acteurs publics ou privés, voyaient le jour pour une transformation des pratiques et aller vers un modèle agricole plus durable”, explique Yann Daoulas, responsable communication et marketing.
L’entreprise s’est donc positionnée sur ce segment afin d’offrir une solution de suivi à ces acteurs et leur permettre de qualifier et quantifier l’impact de ces pratiques. Dans ce cas, l’IA permet le traitement des images satellites souvent “ennuagées” et “complexes à manipuler”. “En termes de culture, nous sommes en mesure de distinguer la trentaine de cultures conduites en France, la couverture des sols, la diversification des rotations...”
Jusqu’où peut aller l’IA ?
Ces quelques projets en cachent de nombreux autres. S’ils viennent à voir le jour, ils ouvriront ainsi une voie dans laquelle l’Homme aura à terme peu de voix au chapitre ramenant donc à cette fameuse question de l’éthique. Une interrogation qu’il serait bon de ne pas écarter selon Fabien Chel, enseignant chercheur informatique à l’école des ingénieurs d’Angers. “Avec l’IA, il sera possible d’arriver à ce que la machine décide à la place des humains.” Quid alors du libre-arbitre et de la capacité de chacun à user de sa matière
grise ? De la responsabilité des acteurs publics et privés ? L’IA peut-elle être une source d’idées ? Serons-nous toujours en capacité de comprendre les décisions de l’IA et à les accepter à chaque instant de nos vies ? “Nous devrons nous poser ces questions car la porosité entre comportement humain et artificiel se réduit comme peau de chagrin.”
Autre aspect rarement abordé au sein de ce débat sur l’IA, son énorme consommation d’énergie. “L’application chatGPT requiert pour son fonctionnement plus de 175 milliards de paramètres et
570 giga-ampères. C’est considérable, même si l’automatisation de certaines actions permet d’optimiser cette consommation.”
Mélodie Comte