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Interview de Martine Cabacos « Les insectes du stockage ne viennent pas du champ »
Subir une infestation d’insectes dans un lot de céréales stockées à la ferme, ça n’arrive pas qu’aux autres. Pour s’en prémunir, un nettoyage méticuleux des installations est efficace. La preuve avec Marine Cabacos, spécialiste de la protection des grains stockés chez Arvalis.
Perspectives Agricoles : Le nettoyage des installations de stockage de céréales est une corvée. Mais est-ce utile ?
Marine Cabacos : Oui, c’est même indispensable en l’absence d’insecticide. Il faut profiter des dernières semaines avant le début de la moisson pour faire cela. Pour nettoyer, il est nécessaire de procéder par étape : commencer par nettoyer le haut des installations, puis descendre, en ne négligeant aucun élément de la manutention : tout doit être balayé, aspiré, nettoyé. Toutes les zones de rétention possible de grains doivent faire l’objet d’une attention particulière. Compléter ce nettoyage par un traitement insecticide des locaux (chimique, poudres minérales ou lâcher de parasitoïdes) est une bonne stratégie pour effectuer un point zéro qualitatif, y compris des zones difficiles d’accès, et éviter un traitement sur grains par la suite.
Les déchets ramassés doivent être immédiatement sortis du local de stockage et détruits pour éviter toute recontamination.
P. A. : Les insectes du stockage viennent-ils du champ ?
M. C. : Pas du tout ! Ils se nichent dans les locaux et ré-infestent le grain stocké d’une année sur l’autre, à moins qu’ils ne proviennent d’un échange de grains entre stockeurs. Mais ils ne viennent pas du champ : aucune étude dans les conditions climatiques françaises ne le démontre. La biologie de ces espèces invalide cette théorie : les charançons et capucins ont besoin de grains de céréales matures et entiers pour se développer. Sans grains de blé ou d’orge, leur longévité n’est que de quelques jours. Ils ne peuvent pas survivre au champ l’hiver.
Ces insectes sont également peu mobiles : les principales espèces ne volent pas en-dessous de 20°C car cela consomme trop d’énergie. Certaines espèces sont capables, au pire, de parcourir quelques centaines de mètres l’été entre sites voisins. Les grains sont leur biotope : elles y trouvent toutes les conditions qui garantissent la perpétuation de l’espèce depuis des siècles. En nettoyant les installations de stockage, on fait significativement baisser la pression en insectes en début de campagne. Attention également aux engins de récolte et de transport des grains, qui peuvent faire office d’habitat pour ces espèces s’ils sont mal nettoyés !
P. A. : Des insectes dans son stockage, c’est quand même la honte !
M. C. : Pourquoi ? C’est embêtant car les contrats exigent l’absence d’insecte au stockage, avec de possibles réfactions ou refus de marchandise, mais c’est plus fréquent qu’on ne le dit : nos enquêtes conduites en 2022 et 2023 montrent ainsi qu’à réception, 64 % à 77 % des lots étaient infestés. Après mise en incubation, ce chiffre était même de 84 % en 2022 et 92 % en 2023.
Cette même enquête a confirmé la prédominance du charançon du riz (Sitophilus oryzae), du silvain dentelé (Oryzaephilus surinamensis) et du tribolium roux (Tribolium castaneum) dans les lots analysés. En abondance, le silvain dentelé représente plus de 60 % des individus à réception, et le charançon du riz, plus de 50 % des individus observés après incubation des échantillons.
Leur présence dans les silos français est donc loin d’être un mythe, mais une bonne conduite de stockage doit permettre de maîtriser les populations pour les maintenir à un niveau non préjudiciable.
P. A. : Si on nettoie, plus besoin de ventiler ?
M. C. : Si. Le nettoyage des installations de stockage n’exclut pas le refroidissement des futurs lots. Le point zéro parfait n’est pas souvent atteignable compte tenu des contraintes sur site. En l’absence d’insecticide, ces deux moyens de lutte sont à combiner pour limiter efficacement le développement des populations d’insectes. Les insectes n’aiment pas le froid et à 12°C, ils entrent en vie ralentie et leur développement est bloqué. Bien que le froid positif n’ait pas d’effet insecticide sur les individus à court terme, il permet un déclin progressif des populations installées. En cas de réchauffement des stocks en fin de campagne, il faut rester vigilant car les populations peuvent alors reprendre leur prolifération !
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