L’api-foresterie : une réponse au changement climatique

Avec des étés de plus en plus chauds et secs, les abeilles risquent de crier famine, faute de fleurs à butiner. Des “trous floraux” que l’implantation d’arbres exogènes pourrait en partie pallier.

Pesticides, varroa, frelon asiatique... on savait les menaces nombreuses sur les colonies d’abeilles, des butineuses essentielles à la pollinisation de près de 75 % des plantes cultivées sur la planète, soit 35 % du tonnage de la production agricole mondiale. Le changement climatique en est une autre qui est en train de modifier non seulement la disponibilité des ressources alimentaires pour les abeilles mais aussi leur comportement comme celui de leurs parasites. L’année 2022 en a donné la mesure comme l’explique Christian Carrier, président du syndicat des apiculteurs du Cantal. “Le premier semestre 2022 a très bien démarré, les colonies se sont bien développées jusqu’à un premier coup d’arrêt, la canicule du 20 juin qui a stoppé nette la floraison du châtaignier, comme si les fleurs avaient été brûlées, elles ne sont d’ailleurs jamais reparties.” Ni celles du tilleul, le deuxième dernier grand arbre mellifère sous nos contrées.
“Le lierre nous a sauvés”
Si dans un premier temps, les abeilles se sont reportées sur les prairies (elles aussi vite grillées) et plantes arbustives, ce répit n’a été que de courte durée, avant de nouveaux épisodes caniculaires et un automne tout aussi sec et catastrophique pour les colonies : de début juillet à mi-octobre, pollens et nectars se sont réduits comme peau de chagrin, avant de disparaître à leur tour, affamant les hyménoptères et hypothéquant la survie des colonies. “Heureusement, le lierre nous a sauvés”, déclare Christian Carrier. Une espèce arbustive à la floraison étalée et plus tardive (de mi-septembre jusqu’aux premières gelées) et dont le pollen s’avère un exceptionnel concentré en protéines,  autant de réserves avant l’hiver.
Toutes les colonies n’ont pas eu la même chance et en cette sortie de printemps, le président du syndicat des apiculteurs estime à 25 % le taux de mortalité moyen dans les ruchers du département, certains ayant perdu l’intégralité de leurs colonies, sans pouvoir cependant préciser le rôle respectif de cette pénurie alimentaire, du parasitage par le varroa...
Un trou floral qui se creuse
Une chose est sûre, 2022 a confirmé une tendance déjà largement engagée : l’allongement du “trou” floral, c’est-à-dire de la période de vaches maigres pour les abeilles entre la fin de la floraison des châtaigniers et tilleuls, de plus en plus précoce (facilement avancée de trois semaines) et l’arrivée du lierre avant l’hivernage. Ce déficit floral est accentué dans certaines régions par la simplification des paysages, le retournement des prairies naturelles étant par exemple synonyme de perte importante de diversité florale. Or, tout comme nous, humains, sommes incités à manger cinq fruits et légumes par jour, les abeilles ont elles besoin de butiner le pollen de trois espèces différentes pour disposer des acides aminés indispensables à leur bonne santé, rappelle Yves Darricau, ingénieur agronome, apiculteur et auteur entre autres de “Planter des arbres pour les abeilles”, invité de l’assemblée générale du syndicat.
Les abeilles d’hiver doivent en effet s’engraisser pour passer l’hiver, maintenir une température élevée dans la ruche, s’occuper de la reine et des premiers couvains puis relancer la nouvelle colonie, expose ce dernier dans une intervention sur Youtube. Des recherches récentes ont aussi montré qu’une colonie bien nourrie en octobre (avec du lierre) affiche un taux de survie hivernale de 90 %, celui-ci tombe à 60 % si le pollen est en quantité et qualité faible. Autre phénomène observé avec des hivers plus doux, la relance des colonies est plus précoce avec une dépense d’énergie qui se fait en puisant dans les réserves de miel.
Comment pallier ces trous floraux ? Les apiculteurs ont l’habitude de compenser des carences en sucre en apportant des pâtes ou sirops alimentaires. “Pour les protéines, on ne sait pas faire”, indique Christian Carrier, plus que sceptique sur les pâtes protéinées commercialisées, à base de protéines animales a priori non assimilables par l’insecte.
Les arbres asiatiques à la rescousse
La solution pourrait venir de l’api-foresterie, un concept que développera Yves Darricau. Ce dernier préconise  d’implanter des essences d’arbres, issues d’autres contrées (notamment d’Asie), aux floraisons plus tardives (juillet, août) : c’est le cas du savonnier, qui présente l’avantage de fleurir dès la quatrième d’année, du tilleul du Japon et de son cousin chinois (avec une très forte production de pollen), du lilas des Indes, de sophora japonica, ou encore du bien nommé arbre à miel (tetradium, champion de la production de nectar)... “Il ne s’agit pas de remplacer les espèces locales dont certaines sont cependant condamnées à terme, comme le hêtre sur le versant sud du secteur de Maurs, précise Christian Carrier, mais de trouver une réponse au changement climatique”, même si elle s’inscrit sur une durée longue.