La célébrissime crème de marrons Clément Faugier : une spécialité ardéchoise à base de châtaignes… italiennes ?

Bûches aux marrons, marrons glacés, gâteau Mont-Blanc… les agapes de fin d’année mettent régulièrement les châtaignes à l’honneur. Mais, ces douceurs sont loin d’être françaises !

Pour la confection de ces desserts, la plupart des pâtissiers amateurs privilégient la crème de marrons Clément Faugier, une entreprise existant depuis 1882 à Privas, en Ardèche. Aujourd’hui, leader sur le marché grâce à sa recette créée en 1885 pour valoriser les brisures de marrons glacées, la société représente environ 80 % des parts de marché françaises en grandes et moyennes surfaces. Dans certains commerces, cette marque est même la seule disponible.

Symbole de la réussite française, de longévité et de la valorisation du terroir ardéchois, Clément Faugier ne se fournit pourtant qu’en quantité minime en châtaignes locale, voire pas du tout ! Sur les boîtes en conserve, il est pourtant bien écrit en grand « crème de marrons de l’Ardèche » et une deuxième fois en plus petit. Cette pratique pourrait être considérée comme trompeuse pour le consommateur, qui par son acte d’achat, pense soutenir la filière de la châtaigne française.

Des informations peu claires

En 2000, une association de consommateurs avait porté plainte contre le fabriquant pour ce même motif. Une amende de 100 000 francs avait été demandée, selon Le Parisien. Il semblerait que la procédure n’ait pas abouti, faute d’archives judicaires concernant le jugement.
A l’époque, toujours d’après le Parisien, Claude Boiron, ancien PDG de l’entreprise avait justifié que la recette n’avait pas changé depuis sa création. Il ajoutait que c’était « comme pour la moutarde de Dijon, à partir du moment où on respecte la recette, on peut en faire n’importe où avec des produits de toutes origines ».

Un problème également concerne un autre produit de la gamme. En arrivant sur la page d’accueil du site de Clément Faugier, il est inscrit en gros « marrons glacés de l’Ardèche, fabriqués exclusivement à partir de châtaignes d’Ardèche AOP ». Cependant, une employée interrogée, révèle que « seules les trois premières boîtes, reconnaissables par leurs illustrations, sont d’origine françaises, les autres sont italiennes ». Hormis un texte en haut de la page, rien n’indique la provenance des ingrédients. Dommage pour notre production.  

Pourquoi la filière française n’est-elle pas mise davantage en valeur dans le produit emblématique ?

Est-ce parce que la France ne produit pas assez de châtaignes ou parce que les italiennes sont moins chères ?

Deux raisons principales expliquent cette situation : d'une part, la France ne produit pas assez de châtaignes pour répondre à la demande ; d'autre part, les châtaignes italiennes sont souvent moins coûteuses. En 2024, la production nationale s'est stabilisée autour de 8 860 tonnes. L'Ardèche reste le premier producteur français avec 44 % du total « Nous avons obtenu en volume 4 350 tonnes, exactement comme en 2023 », précise le comité interprofessionnel de la châtaigne d’Ardèche. Malgré les aléas climatiques qui n’ont quasiment épargné aucune culture, la campagne ardéchoise est considérée comme satisfaisante. La situation est en revanche moins réjouissante en Dordogne, 2e producteur (13 %) français, où de lourdes pertes ont été constatées. Mais l’ensemble des régions productrices est loin de suffire à couvrir les besoins industriels.

Enjeux et défis

Pour y répondre, le syndicat national des producteurs de châtaignes a été reçu en janvier 2024 au ministère de l’Agriculture. Cette réunion visait à discuter de l’utilisation des 5 millions d’euros de crédits alloués à la filière et à établir un plan pour enrayer les problèmes sanitaires, adapter la filière au changement climatique et pallier le déficit de production française.  
Saviez-vous que la France importe plus qu’elle ne produit ? Les importations annuelles avoisineraient les 13 500 tonnes. La demande industrielle est en croissance constante et la majorité des pays se fournissent désormais en Chine, plus gros producteur mondial, entre 1 750 000 et 1 850 000 tonnes, pour couvrir leurs besoins. En Europe, c’est l’Italie qui reste le premier producteur, avec une production d’environ « seulement », 49 750 tonnes.

Un potentiel français sous-exploité

La demande industrielle étant très soutenue, les débouchées de vente sont multiples. Un argument qui ne séduit pourtant pas à attirer la jeune génération d’agriculteurs. De plus, les châtaigneraies françaises sont souvent en piteux état, nécessitant des investissements importants, et situées sur des terrains escarpés. Pour y remédier, l’Auvergne-Rhône-Alpes a décidé de prendre le problème à bras le corps, en mettant en place un plan régional 2023-2027 visant à reconquérir et à créer de nouvelles châtaigneraies. Sur 35 000 hectares disponibles dans la région, seuls 6000 sont actuellement exploités. Cette stratégie mobilise 4,6 millions d’euros sur cinq ans pour soutenir la filière, dont 1 685 million d’euros financés par la Région.

Espérons que les autres régions puissent à l’avenir en faire autant. Qui sait ? Clément Faugier pourra peut-être réduire sa part de châtaignes italiennes pour valoriser les nôtres et porter dignement le nom de « crème de marrons de l’Ardèche ».