La Jersiaise des Combes, le Gaec qui résiste à la déprise laitière, à la déprime bio et au climat

[Tech & Bio 2023] A Châteaudouble (Drôme), Audrey et Thierry Gillos élèvent en bio une soixantaine de jersiaises dont une partie du lait et l’intégralité de la viande sont vendues en direct. Le Gaec compose avec les soubresauts du climat et les défections d’associés, moyennant une grosse dose de flexibilité, de technicité et de suractivité.

Sur les contreforts du Vercors, en bovins lait bio et pâturant, Audrey et Thierry Gillos font de la résistance. Ils résistent à la déprise laitière qui, dans la Drôme, a vu le nombre d’exploitations spécialisées en bovins lait chuter de quasiment moitié (-42%) entre 2010 et 2020 et le nombre de têtes d’un quart (-26%). Le Gaec a quand même dû composer de son côté avec deux défections successives d’associés.

Audrey et Thierry Gillos résistent à la déprime bio, dont le lait est le premier à avoir fait les frais. Ils en réchappent grâce à l’ultra-frais et au développement de la transformation et de la vente directe, grâce aussi à la générosité butyrique et protéique de leurs jersiaises, qui leur ont assuré une moyenne de 590 euros les 1000 litres en 2022 en circuit long.

"En 2012, on avait 90 vaches, on achetait de la bouffe en permanence. Aujourd’hui on en a 60 et on en vendra 20 s’il le faut pour rester autonome"

Ils résistent enfin au climat qui, depuis quelques années, pousse un système pâturant et autonome dans ses retranchements, quitte à trancher dans le vif. « En 2012, on avait 90 vaches, on achetait de la bouffe en permanence, souligne Thierry Gillos. Aujourd’hui on en a 60 et on en vendra 20 s’il le faut pour rester autonome ».

Jean-Pierre Manteaux, conseiller élevage et adaptation au changement climatique à la Chambre d’agriculture de la Drôme et les tableaux HappyGrass
Jean-Pierre Manteaux, conseiller élevage et adaptation au changement climatique à la Chambre d’agriculture de la Drôme et les tableaux HappyGrass

Ce n’est pas à l’ordre du jour. Si l’année 2023 était mal engagée, avec une sortie d’hiver particulièrement sèche, la fin du printemps et l’été ont distillé des pluies salvatrices. « Cette année, le pâturage estival a été interrompu pendant seulement cinq semaines, explique Jean-Pierre Manteaux, conseiller élevage et adaptation au changement climatique à la Chambre d’agriculture de la Drôme, tableaux HappyGrass à l’appui. Les pires années, l’exploitation peut être amenée à distribuer une ration pendant cinq mois ». Le Gaec pratique le pâturage tournant sur des blocs de 2 hectares avec avancée au fil.

Si l’effectif est resté constant, le Gaec a en revanche opéré en début d’année un sacré virage en optant pour la monotraite. Un choix qui s’est imposé avec le départ de Frédéric, le frère de Thierry. « L’entente était bonne mais le travail ne lui convenait pas », explique l’éleveur. « Trouver un associé en élevage c’est compliqué et encore pire en laitier, souligne Jean-Pierre Manteaux. Le bassin laitier remonte et on perd progressivement la culture laitière ».

Au libre-service présent sur la ferme, on se sert, on note son nom et sa liste d’achats, on dépose son règlement et on déguste
Au libre-service présent sur la ferme, on se sert, on note son nom et sa liste d’achats, on dépose son règlement et on déguste

Pour pallier le départ du frère, Thierry et son épouse Audrey, qui a rejoint le Gaec en 2021, explorent plusieurs pistes : robot, salariat et monotraite. C’est cette dernière option qui l’emportera. « L’idée me travaillait depuis un bout de temps, indique Thierry. Quand mon frère est parti, j’ai interrogé des collègues et j’ai franchi le pas ». Une salariée à mi-temps viendra tout de même renforcer l’effectif. La fenaison est déléguée à une ETA, le foin séché en grange abandonné au profit de l’enrubannage, du matériel est revendu.

La moitié ou presque des 160 hectares est couverte de prairies naturelles (dont une part peu productive issue de l’aéroport de Valence), complétée par une cinquantaine d'hectares de prairies temporaires dont un mélange « spécial Saint-Marcellin » créé par Jean-Pierre Manteaux. L’irrigation de 15 hectares permet de sécuriser le maïs.

Avec le passage en monotraite, qui permet de pâturer des parcelles plus lointaines, la productivité devrait passer de 5000 litres par vache à 3500-4000 litres. « Il faudra attendre la fin d’un premier exercice pour évaluer l’incidence économique globale du passage en monotraite mais on est plutôt confiant », affirme Audrey.

Les mâles sont conservés et élevés jusqu’à deux ans avant d’être abattus et vendus à la ferme ou en caissettes
Les mâles sont conservés et élevés jusqu’à deux ans avant d’être abattus et vendus à la ferme ou en caissettes

Le Gaec livre environ les deux tiers de son lait à la Fromagerie l’Etoile du Vercors (Isère), où il est notamment transformé en Saint-Marcellin et Saint-Félicien. La monotraite a permis de booster un peu plus les taux de matière grasse et protéique.

La transformation est l’autre mamelle du Gaec : lait cru ou pasteurisé, yaourts, crèmes dessert, sans oublier la viande, pour valoriser les veaux mâles. « Les mâles sont élevés jusqu’à 2 ans et vendus en caissette et dans le libre-service à la ferme, explique Audrey Gillos. Les vaches de réforme sont transformées en steaks hachés ».

"Je fais en moyenne entre deux et trois transfo par semaine. La semaine dernière, j’en ai fait six"

Depuis l’arrivée d’Audrey, le Gaec a accéléré sur la transformation et par voie de conséquence sur les circuits courts : magasins de détail, Amap, magasins bio spécialisés, magasin de producteurs Court Circuit 100% bio dont le Gaec est l’un des 18 associés, collèges en direct, restauration collective via les plateformes Agrilocal et Agri Court. « Je fais en moyenne entre deux et trois transfo par semaine. La semaine dernière, j’en ai fait six ».

Monotraite mais multitâches

Entre la fabrication, la préparation des commandes, les livraisons, la facturation, l’administration, autant dire que le Gaec turbine. « On entame la seconde partie de notre carrière, il va falloir nous ménager un peu pour aller au bout », concède l’éleveuse.

Audrey a aussi décidé de répondre favorablement à la demande d’un hypermarché local. Quel que soit le circuit, le coût de production détermine le prix départ ferme. « Le choix de l’hypermarché, c’est une façon d’approcher un autre public et de permettre à des consommateurs d’avoir accès à des produits bio et locaux, qu’ils ne viendraient pas forcément chercher chez nous ou ailleurs ». Résister, donc. Et faire bouger les lignes.