Le pari du lupin face au défi du rendement

Avec sa capacité à fixer l’azote de l’air et son taux de protéine plus élevé que le pois ou la féverole, le lupin est une légumineuse qui a tout pour plaire. Pourtant, les surfaces stagnent, voire diminuent. La faute à un rendement et un revenu pas toujours facile à sécuriser pour les agriculteurs. Le projet Arsène, dont la coopérative Terrena a pris les commandes, doit y remédier.

La particularité du lupin blanc cultivé en France, et dont les variétés ont été développées par l’Inrae, repose sur son faible taux d’alcaloïdes. Combiné à son taux de protéines de 34 %, voire 39 % après décorticage, cela en fait un candidat de choix comme ingrédient pour l’alimentation humaine et animale. C’est surtout en s’appuyant sur ce second débouché que la coopérative Terrena compte développer les surfaces de lupin dans le cadre du projet malicieusement nommé Arsene, lancé en 2025. L’objectif est de porter la surface française à 25 000 ha à horizon 10 ans, contre 6000 ha actuellement. Pour sa part, Terrena vise 12 500 ha. « Historiquement, c’est une culture qui a été plus développée dans l’Ouest car elle est sensible aux épisodes de gel important », retrace Bastien Remurier chez Terres Inovia.

Trouver une place dans la rotation

À Corcoué-sur-Logne, dans le sud de la Loire-Atlantique, Guillaume Hervouet a implanté 9 ha de lupin pour la première fois lors de la campagne 24/25. Bien que la récolte ne soit pas encore réalisée, il a déjà décidé de poursuivre avec cette culture l’an prochain, mais en réduisant la voilure. « Je ne vais mettre que 5 ha. Je n’ai que 30 ha drainés qui peuvent convenir à son implantation. Si je veux en avoir chaque année dans mon assolement, étant donné que la culture ne peut revenir que tous les 4 à 5 ans, il faut trouver le bon équilibre en surface », témoigne-t-il.

La parcelle de lupin semée mi-septembre par Guillaume Hervouet est prometteuse (© TD).

Ce choix du lupin a été mûrement réfléchi pour l’agriculteur qui a récemment arrêté le lait et s’est lancé comme chauffeur de poids lourds en double activité. « Il fallait que j’étale ma charge de travail en réduisant les semis d’automne », témoigne-t-il. Avec une implantation préconisée entre le 10 et le 20 septembre, le lupin s’inscrivait bien dans cette démarche. Par ailleurs, une fois installé, il nécessite peu d’intervention. « Il y a eu un désherbage dès le semis et deux fongicides au printemps avant la récolte sur la même période que le blé », témoigne-t-il. Semé en 75 cm avec un semoir monograine, le lupin aurait également pu être biné en cas de salissement, mais le besoin ne s’est pas fait sentir cette année.

Stabiliser les rendements

Au-delà de la création de nouveaux débouchés travaillés par les filiales de Terrena (voir encadré plus bas), le principal frein au développement du lupin est agronomique. Pour que la culture soit rémunératrice, un consensus de rendement à atteindre s’établit à 30 q/ha. Or dans les champs, ce rendement a tendance à être très fluctuant. La première expérience de Guillaume Hervouet en est un bon exemple. Si sa première parcelle affiche un bon potentiel, il est plus inquiet pour la seconde. « J’ai implanté la première mi-septembre. Elle est prometteuse avec deux étages de gousses bien fournies. Par contre, je n’ai pu semer la seconde que début octobre et elle a pris 30 mm dès le lendemain, ce qui a généré une forte battance. L’implantation était trop tardive, le lupin n’a pas pu se développer. Mais il y a quand même un étage de gousses », témoigne-t-il.

Un travail du sol primordial

Réussir l’implantation, c’est bien le principal levier pour assurer le rendement. « Le lupin a une racine pivot qui peut pâtir d’un tassement du sol », rapporte Bastien Remurier. Il préconise un labour, approche la plus adéquate pour réduire le risque de mouche du semis. L’expert Terres Inovia insiste également sur le nécessaire travail qualitatif du premier horizon de sol où se développeront les radicelles. Ce sont ces mêmes radicelles qui accueillent la symbiose avec l’inoculum apporté au moment du semis. Si les radicelles sont stressées, la symbiose n’a pas lieu et le lupin perd sa capacité à capter l’azote de l’air. D’une manière générale, une mauvaise implantation pénalisera le développement végétatif et de facto le nombre d’étages de gousses sur la plante lors de la récolte.

Lupin blanc en floraison (© TD)

Maitriser le risque sanitaire

Si l’implantation est réussie, la deuxième période délicate se situe entre la sortie d’hiver et la floraison. « Il faut pouvoir détecter de manière précoce les stress qui pourraient freiner la dynamique de la plante. L’anthracnose par exemple », cite Bastien Remurier. Dans cette optique, Guillaume Hervouet a décidé cette année d’appliquer deux fongicides sur sa parcelle avec le plus fort potentiel pour assurer le rendement.

La récolte en elle-même peut permettre de sécuriser les derniers quintaux. « Il faut éviter de battre le lupin rapidement entre deux blés. Un réglage précis permet d’éviter les pertes et casses de graine », confie-t-il. À Corcoué-sur-Logne, Guillaume Hervouet a décidé de confier le battage à une entreprise. « Ils font déjà du lupin par ailleurs. Ils m’ont réservé un créneau assez tôt un samedi matin pour que je puisse être là », témoigne-t-il.

L’enjeu de l’enherbement

Le rendement fluctuant n’est pas le seul frein au développement du lupin. Jacques Chaigneau, technico-commercial chez Terrena, pointe également l’enherbement des parcelles. « Le désherbage est compliqué car le lupin a un cycle long et peu de produits sont homologués sur cette culture », remonte-t-il. D’après son expérience, plusieurs agriculteurs ont déjà abandonné le lupin après avoir sali leur parcelle. « Ça se paye dans la céréale suivante », commente-t-il. Un constat que confirme Guillaume Hervouet. « Sur la parcelle la moins bien réussie, je vais devoir faire un glyphosate pour nettoyer », prévoit-il déjà.

Afin de garder un levier d’action en cas de faible efficacité des désherbants racinaires après l’implantation, Jacques Chaigneau conseille aux agriculteurs de semer large, 50 cm quand ils sont équipés avec des outils spécifiques et 75 cm dans le cas contraire. « Ça ouvre la possibilité de réaliser un binage au printemps si la parcelle est trop sale », précise-t-il.

Des débouchés en développement

Avec 25 000 ha de lupin à 30 q/ha, le projet Arsene devrait permettre de produire 75 000 tonnes de lupin annuellement. Des volumes qu’il faut pouvoir valoriser pour assurer un revenu aux agriculteurs. La coopérative Terrena place de grands espoirs dans l’alimentation animale des monogastriques pour valoriser cette légumineuse et renforcer l’autonomie protéique de son territoire. Concrètement, l’objectif est de substituer en partie le soja par le lupin. Des essais ont déjà montré un intérêt en volaille. Le projet Arsene permet aujourd’hui de financer des expérimentations en porcin. Pour les ruminants, l’autoconsommation à la ferme est déjà une pratique courante. Une approche qui plait à Guillaume Hervouet. L’exploitant a décidé de valoriser une partie de sa récolte dans la ration de la dizaine de génisses allaitantes qu’il a conservé sur sa ferme.