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Le riz, un grain au cœur de plusieurs conflits
[Edito] De la démission d'un ministre japonais aux tensions indo-pakistanaises, en passant par les défis des riziculteurs camarguais, le riz nous plonge dans un marché sous haute tension géopolitique, économique et éthique.
Au Japon, dans un climat tendu autour des prix du riz, une petite phrase malvenue du ministre de l’Agriculture a déclenché une crise politique. Lors d’un rassemblement public le week-end dernier, le ministre japonais Taku Eto a déclaré n'avoir « jamais acheté de riz parce que mes soutiens m'en donnent tellement que je pourrais pratiquement en vendre ». La déclaration a tellement choqué l’opinion que le ministre a démissionné quelques jours plus tard. Il faut dire que le pays est confronté à une forte hausse des prix alimentaires, en particulier du riz, dont les tarifs ont presque doublé sur un an. Le gouvernement japonais a récemment dû exceptionnellement puiser dans ses réserves stratégiques de riz, notamment en raison des mauvaises récoltes dues à la chaleur en 2023. Au Japon comme dans de nombreux autres pays, le riz est un aliment de base, très exposé aux tensions géopolitiques.
Le riz au cœur de guerres commerciales
Au niveau mondial, il s’agit de la première céréale cultivée pour l’alimentation humaine, et la troisième céréale la plus cultivée après le maïs et le blé. L’Asie concentre 90% de sa production, rendant les pays importateurs dépendants et vulnérables face aux hausses de prix et aux décisions politiques. En 2023, l’Inde, premier exportateur mondial, avait décidé d’interdire l’exportation de riz blanc non-basmati afin de freiner la hausse des prix sur son marché intérieur. Cette décision a eu un impact immédiat sur les marchés internationaux, les pays d’Afrique subsaharienne voyant les prix du riz bondir de 15 à 25% sur leur marché intérieur.
L’Europe, qui produit environ 60% de sa demande en riz, principalement en Espagne et en Italie, est de son côté beaucoup moins dépendante des importations. Seul le riz basmati est importé en quantité, car il n’est produit qu’en Inde et au Pakistan. Les deux pays ennemis se déchirent d’ailleurs depuis plusieurs années sur la reconnaissance exclusive de l’indication géographique protégée (IGP) du riz basmati auprès de l’Union européenne. Depuis fin avril, le conflit militaire qui secoue les deux pays, qui occupent respectivement la première et la quatrième place mondiale en tant qu’exportateurs de riz, a ravivé les tensions autour de la sécurité alimentaire en Asie du Sud-Est et en Afrique subsaharienne.
Le combat pour une production durable
En France, la production de riz est concentrée en Camargue, où elle occupe une place emblématique. Environ 150 exploitations cultivent du riz sur 12 000 hectares, pour une production annuelle d’environ 64 000 tonnes, ce qui représente moins de 10% de la consommation nationale. Comme pour bon nombre de produits agricoles, la filière est confrontée à des distorsions de concurrence majeures par rapport aux pays tiers. Les riziculteurs français disposent ainsi de 10 substances herbicides, les Espagnols de 14, les Italiens de 18, et les Indiens de 31. Certaines sont interdites de longue date en Union européenne, comme le Paraquat banni depuis 2007. Pour se démarquer face à la concurrence mondiale, la filière française s’est engagée dans la démarche IGP Riz de Camargue, répondant à un cahier des charges précis, ainsi que vers l’agriculture biologique.
Maintenir et augmenter la production de riz en France est non seulement un défi de souveraineté alimentaire mais également un défi socio-économique et écologique. Selon une récente analyse des produits « exotiques » importés en France, le riz figure parmi les 6 filières qui concentrent l’essentiel des violations des droits humains (travail des enfants, travail forcé, salaires indécents), avec le cacao, la vanille, l’huile de palme, le sucre de canne et le café.
Du Japon à la Camargue, le riz est un exemple criant des fragilités de nos systèmes alimentaires et des défis auxquels font face les producteurs confrontés à la concurrence internationale. Et comme pour de nombreuses autres filières, il pose la question : quand l’Europe mettra-t-elle enfin en place des mesures miroirs sur ses produits importés ?