Les agriculteurs un peu moins touchés par le cancer que l’ensemble de la population

Selon la cohorte Agrican, les agriculteurs développent moins de cancers que l’ensemble de la population. L’incidence est cependant plus forte pour six cancers en particulier, renforçant la présomption de lien avec l’usage de pesticides, que corroborent d’autres études.

Depuis 2005, l’étude Agrican scrute la survenue de cancers dans la population agricole au moyen de questionnaires adressés à une population constituée de 180.000 adultes affiliés à la Mutualité sociale agricole (MSA), actifs et retraités, salariés et non-salariés. Ils sont issus de 11 départements métropolitains (*) disposant d’un registre des cancers.

La cohorte Agrican est coordonnée par des chercheurs du Centre François Baclesse basé à Caen (Calvados) et de l’Université de Bordeaux (Gironde). Ses résultats font l’objet de publications scientifiques et sont approuvés par des professionnels internationaux des différentes disciplines de recherche concernées. Il s’agit selon ses auteurs de la plus grande étude au monde conduite sur les cancers en milieu professionnel agricole. Ses derniers résultats sont consignés dans un 3ème bulletin, après ceux de 2011 et de 2015.

-7% pour les hommes, -5% pour les femmes

Sur la période de suivi, entre 2005 et 2015, la survenue de 43 types de cancers parmi les participants de la cohorte a été comparée à celle en population générale dans les départements concernés. Résultats : les cancers sont légèrement moins fréquents au sein de la cohorte Agrican : -7% chez les hommes et -5% chez les femmes.

Sur les 43 cancers examinés, 14 cancers sont apparus moins fréquemment au sein de la population agricole. Il s’agit notamment des cancers du poumon (-42% chez les hommes et -33% chez les femmes), de la cavité orale et du pharynx (-43% chez les hommes et -36% chez les femmes), du foie (-25% chez les hommes et -31% chez les femmes), de l’anus (-51% chez les hommes et -54% chez les femmes), de la vessie (-34% chez les hommes et -22% chez les femmes) et de l’œsophage (-22% chez les hommes et -28% chez les femmes).

La moindre incidence pour 14 cancers est à mettre au compte de différents facteurs tels que l’alimentation, la sédentarité, la moindre exposition à la pollution atmosphérique ou encore au tabagisme. Ainsi, 45% des hommes de la cohorte n’ont jamais fumé contre 37% pour l’ensemble de la population. Chez les femmes, les taux sont respectivement de 85% et 49%.

Moindre mortalité globale, hors suicides

Toutes causes confondues, les hommes et les femmes de la cohorte ont une mortalité inférieure de 25% à celle de la population générale à âge égal, même si l’écart a légèrement diminué (29 % précédemment). Cette moindre mortalité en milieu agricole est observée pour la plupart des causes de décès, y compris pour les maladies du système nerveux telles qu’Alzheimer et Parkinson (-29% pour les hommes, -37% pour les femmes).

Si le tabagisme explique pour une part la différence, les auteurs de l’étude la tempèrent néanmoins en évoquant l’effet dit du « travailleur sain », qui exclut des cohortes de travailleurs les personnes dont l’état de santé est trop précaire et incompatible avec une activité professionnelle.

Concernant le suicide, la cohorte Agrican révèle, comparativement à la population générale, un excès d’incidence de +14% chez les hommes et de +46% chez les femmes. Ce risque est deux fois plus important chez les non-salariés (+29% chez les hommes et +105% chez les femmes).

Six cancers plus fréquents

Parmi les 43 cancers étudiés, six sont apparus plus fréquemment dans la cohorte Agrican que dans la population générale. Ils n’étaient que deux dans le bulletin de 2015, à savoir le mélanome de la peau et le myélome multiple, qui voient leur excès d’incidence perdurer, à +29% pour le premier chez la femme et +20% et +21% pour le second, respectivement chez les hommes et chez les femmes.

Quatre cancers supplémentaires sont observés avec plus de fréquence que dans la population générale. Il s’agit des cancers de la prostate (+3%), des lèvres (+55% chez les hommes), des lymphomes (+9% chez les hommes) et du lymphome plasmocytaire/maladie de Waldenström (+49% chez les hommes, +58% chez les femmes).

S’agissant du cancer de la prostate, les résultats de la cohorte Agrican évoquent un lien possible entre l’exposition aux pesticides et la maladie, une hypothèse cohérente avec le résultat de nombreuses autres études, dont celle de l’Inserm datant de 2013.

Concernant les cancers hématologiques (myélomes multiples, leucémies lymphoïdes chroniques, lymphomes diffus à grandes cellules B), l’étude Agrican met en évidence un excès de risque chez les personnes exposées à des traitements de semences et à l’usage de pesticides en cultures, d’insecticides sur animaux et des désinfectants de bâtiments d’élevage.

« Les résultats obtenus dans l’étude Agrican sont concordants avec ces études françaises et les nombreuses études menées dans d’autres pays qui concluaient à une augmentation du risque de certaines hémopathies malignes chez les agriculteurs et qui montraient des élévations de risque chez les utilisateurs de pesticides », relèvent les chercheurs.

Tumeurs du système nerveux et Parkinson

S’agissant des tumeurs du systèmes nerveux central, aucun excès d’incidence n’a été détecté à ce stade du suivi au sein de la cohorte, comparativement à la population générale. Toutefois, les analyses Agrican indiquent que les utilisateurs de pesticides ont en moyenne deux fois plus de risque de développer une tumeur du système nerveux central que les autres participants de la cohorte.

En ce qui concerne la maladie de Parkinson, l’étude rappelle que l’âge reste le principal facteur de risque, allié à des facteurs génétiques et environnementaux. Parmi ces derniers, le rôle de l’exposition aux pesticides est fortement suggéré. Depuis 2012, la maladie de Parkinson peut être reconnue comme une maladie professionnelle dans le régime agricole en lien avec l’exposition professionnelle aux pesticides.  En 2013, l’expertise collective de l’Inserm avait conclu à une présomption forte entre l’exposition aux pesticides et la survenue de la maladie de Parkinson.

Les résultats d’Agrican sont en cohérence avec ces résultats et documentent les associations entre la maladie et seize pesticides spécifiques dont les dithiocarbamates, la roténone, le paraquat et le diquat.

(*) Bas-Rhin, Côte d’Or, Doubs, Gironde, Haut-Rhin, Isère, Loire-Atlantique, Manche, Somme, Tarn, Vendée