Montée en gamme, descente en compétitivité (2/5) : du bon poulet français... le dimanche

La France a concentré ses efforts sur le poulet entier sous signe de qualité, dont la consommation stagne, au détriment du poulet standard et des filets, dont la consommation et les importations explosent. Notre pays paie cher son modèle familial et la diversification des productions, selon un rapport sénatorial.

Un peu plus de quatre cent ans après l’instauration de la poule au pot dominicale par Henri IV, le poulet made in France, sous signe de qualité, va-t-il devenir sous Macron II le symbole de la bonne chair que les français pourront s’octroyer le dimanche, tandis qu’ils ingéreront du filet de poulet standard en provenance des Pays-Bas (qui réexporte notamment du poulet d’Ukraine), de Belgique (qui en réexporte du Brésil) ou encore de Pologne ? Sans le formuler explicitement ainsi, c’est pourtant ce qu’indique un rapport de la Commission des affaires économiques du Sénat, qui a passé au crible cinq filières en mal de compétitivité, dont le poulet. Le verdict est sans équivoque : « la filière française se trouve dans une impasse stratégique majeure : en abandonnant les circuits de masse pour des segments plus rémunérateurs, elle n’est plus capable de répondre aux besoins des consommateurs nationaux ».

Distorsion entre production et consommation

Avec environ 14.000 producteurs de volailles de chair produisant 1,7 million de tonnes de volaille (68% de poulet, 19% de dinde, 11% de canard, 2% de pintade), la France est le 3ème producteur de l’UE, derrière la Pologne et l’Espagne. Mais ce statut ne la protège pas des importations, bien au contraire. Tout s’est joué au cours des deux dernières décennies (donc sous quatre présidents), sous l’effet d’une distorsion croissante entre la production, tant quantitative que qualitative, et la consommation. Sur la période 2000-2021, la consommation de viande de poulet a doublé alors que la production n’a crû que de 9% pour atteindre 1,18 million tec/an. S’agissant de la consommation, la France ne fait que suivre une tendance mondiale, qui plébiscite la viande de poulet (1ère viande consommée au monde depuis 2016), sous l’effet de son rapport qualité/prix (bonne valeur nutritionnelle, faible teneur en matières grasses), allié à de faibles sinon de relatifs impacts environnementaux et à l’absence d’interdits religieux.

Evolution de la part du poulet importé dans la consommation française (Source : FranceAgriMer)
Evolution de la part du poulet importé dans la consommation française (Source : FranceAgriMer)

Près d’un poulet sur deux importé

La nature des produits consommés a aussi changé. En 2000, la consommation de poulets entiers représentait plus de 50% de de la consommation des ménages, contre 22% actuellement. Résultat : en 2000, les importations représentaient 20% de la consommation nationale. En 2021, près d’un poulet sur deux (47%) est importé. « Cette explosion provient d’une incapacité́ de la filière française à répondre à la matière première la plus recherchée sur le marché qui est le filet de poulet (frais, congelé́ ou transformé) dans des circuits de distribution hors grandes et moyennes surfaces, pour laquelle la filière française dispose d’un déficit de compétitivité »́, décrivent les rapporteurs. Les circuits industriels ainsi que la restauration hors foyer font leur miel du poulet importé, avec un taux d’importation compris entre 60% et 75%, ces deux circuits représentant à eux seuls 50% de la consommation nationale, pour le plus grand bonheur de la Pologne, compétiteur hors pair sur le poulet standard, dont elle exporte les trois quarts de sa production.

Numéro un mondial des coûts de production

Selon le rapport sénatorial, la France affiche le coût de production le plus élevé au monde. Il s’établit à 0,859€/kg vif, contre 0,826€/kg vif dans l’UE à 28 (-4%), 0,802€/kg vif aux Pays-Bas (-6,6%), 0,785€/kg vif en Pologne (-8,6%), 0,671€/kg vif, en Ukraine (-21,8%) et 0,632€/kg vif au Brésil (-26,4%). Paradoxalement, ce n’est pas tant sur le premier poste du coût de production (l’aliment pour 60%) que la France décroche mais sur le coût du poussin (10% à 12% plus élevé que la moyenne de l’UE), le coût de la main d’œuvre (+0,04€/kg vif par rapport à la Pologne) et sur les charges en bâtiment (+0,022€/kg vif par rapport à la Pologne). « La France se démarque de l’ensemble de ses voisins l’UE par la structure de ses exploitations de volailles de chair, beaucoup plus petites et plus diversifiées », lit-on dans le rapport.

Evolution du solde commercial de la filière poulet française (Source : FranceAgriMer)
Evolution du solde commercial de la filière poulet française (Source : FranceAgriMer)

Industriel le poulet standard français ?

La capacité moyenne des ateliers poulets de chair - 1.000 places et plus en France - est plus de 2 fois inférieure à la moyenne européenne ou à celle de la Belgique, 4 fois inférieure à celle de l’Allemagne, 5 fois inférieure à la moyenne hollandaise et britannique et 20 fois inférieure à la taille des élevages ukrainiens, thaïlandais ou brésiliens. « On fait bien vite le procès de l’agriculture française et de son modèle prétendument « productiviste » sans voir que les producteurs français sont déjà des « petits » face aux exploitations de nos voisins et concurrents directs européens, sans parler des concurrents plus lointains (...) La France paie le prix de ses points forts (le modèle familial et la diversification des productions) en matière de compétitivité. Les principales différences de coût de revient s’expliquent avant, et surtout, par la taille modérée des installations et la diversité des productions, qui peut limiter les économies d’échelle possibles par la production d’un produit standardisé ».

Un poulet plus cher et plus petit

Facteur aggravant : l’écart de compétitivité se creuse au stade de l’abattage et de la transformation. Avec un coût d’abattage de 0,31€/kg de carcasse, la France se place en troisième position en termes de coûts d’abattage en Europe derrière le Danemark et les Pays-Bas, mais devant le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et la Pologne, à 0,22€/kg. En cause : la multiplicité et le manque de spécialisation des outils de découpe, ainsi que le déficit de renouvellement des outils en raison d’un taux de rénovation ne dépassant pas 15 % depuis 2000. Cela se traduit par un poids plus élevé des charges de personnel dans le poste de charges, au préjudice des industriels français par rapport à des chaînes plus automatisées en Europe.

Il en résulte un coût de production en sortie d’abattoir supérieur de 5,5 % à la moyenne de l’UE, de 15 % supérieur à celui d’un poulet polonais et d’environ 30 % supérieur à celui d’un poulet brésilien. « Le poulet français est donc, au terme du processus de production, plus cher que ces concurrents tout en étant plus petit d’environ 20 %. Compte tenu des volumes de filets de poulet consommés en raison de leur attractivité tarifaire et de leur mode de distribution, dans des circuits où l’attention au prix est importante, cet écart de compétitivité ne pardonne pas », conclut le rapport.