Noix : face à la crise, un besoin impérieux de structuration

La surproduction mondiale et la chute des prix mettent en lumière les faiblesses de la filière nucicole française, en matière de structuration, de segmentation de marché et de communication sur les bienfaits nutritionnels, selon une étude du CGAAER. Ce dernier recommande également d’accentuer les efforts de recherche sur l’obtention variétale et la transformation industrielle de la coque en cerneaux, excluant le recours à l’arrachage, en dépit d’une crise qui pourrait perdurer.

La dernière crise remontait à 1983, il y a exactement 40 ans. Entre-temps, la filière nucicole a vécu trois années « florissantes », soutenue par le plan Coques de l’UE à la fin des années 1990, par une augmentation de la consommation mondiale et des échanges. Jusqu’en 2022, où l’afflux des productions américaine et chilienne, flairant l’aubaine, a déferlé sur le marché. « Les éléments précurseurs de la crise de 2022 apparaissent dès 2017 avec un accroissement, au niveau mondial, du stockage de report, passant de 7% en 2017/2016 à 17% en 2022/2021 », relève le Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), dans un rapport commandité par le ministère de l’Agriculture.

Selon le rapport, la production mondiale de noix a triplé entre 2005 et 2022 pour s’établir à 2,6Mt, avec en tête des pays producteurs la Chine (1,4Mt), les Etats-Unis (0,68Mt) et le Chili (0,17Mt). Le verger français s’est également étoffé sur la période, pour s’établir à 25.000ha qui, en 2022, ont produit 50.000t de noix, contre 38.000t en 2021. La production est assurée à 55% par le bassin du Sud-Ouest (Dordogne, Lot, Corrèze) et à 40% par le Dauphiné (Isère, Drôme, Savoie), qui disposent chacun de leur AOP (Noix du Périgord, Noix de Grenoble), représentant respectivement 20% et 70% de la production, « sans réelle sur-rémunération conséquente pour les producteurs », note le rapport.

Evolution des cours expédition des bassin Rhône-Alpes et Sud-Ouest (Source : Réseau des nouvelles des marchés)
Evolution des cours expédition des bassin Rhône-Alpes et Sud-Ouest (Source : Réseau des nouvelles des marchés)

La France était jusqu’à ces dernières années le fournisseur attitré de l’UE. Jusqu’à ce que ce que la noix chilienne vienne casser une chaine de valeur bien huilée. A partir de 2022, sous l’effet d’une récolte mondiale record, les prix chutent au point de passer sous les coûts de production, n’épargnant aucun pays producteur. Sur la base des témoignages recueillis, le CGAAER estime que la crise pourrait perdurer entre 3 et 5 ans.

Un révélateur de faiblesses

La crise agit comme un révélateur des faiblesses d’une filière nationale « dominée par l’opportunisme commercial, morcelée entre les deux bassins et tiraillée entre les intérêts divergents des opérateurs et les désaccords entre personnes, y compris au sein des mêmes structures », casse le CGAAER. La noix en coque pour l’export est restée le principal débouché, la transformation et le marché domestique n’ont pas été vraiment investis, les Organisations de producteurs (OP) ne sont que faiblement majoritaires, les AOP n’apportent que peu de valeur ajoutée et le négoce privé joue les concurrences à fond et a les clés du camion ».

La commercialisation des noix est assurée à 60% par 9 organisations de producteurs (6 en Sud-Ouest et 3 en Sud-Est) et à 40% par des négociants privés, achetant directement aux producteurs et aux OP, des statistiques « approximatives, les données fiables n’existent que sur les volumes commercialisés par l’intermédiaire des OP ainsi que sur les volumes en AOP », pointe le rapport.

Deux paradoxes, deux recommandations

L’étude relève deux paradoxes caractérisant la filière nucicole française, à commencer par l’écart entre les intérêts nutritionnels de la noix (excellente source d’Oméga-3, riche en fibres alimentaires, source de protéines végétales, favorisant la santé cardiovasculaire et bonne source de vitamines et minéraux) et la faiblesse du niveau de consommation, de l’ordre de 500g/an, quand certains de nos voisins (Autriche, Espagne et Grèce) sont à 2,5kg/an. Les dernières recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS) conseillent du reste de consommer une poignée par jour de fruits à coque non salés. Selon une étude récente du CTIFL, tous les consommateurs jugent la communication insuffisante et interpellent les opérateurs pour assurer une meilleure présence dans les médias et surtout dans les rayons. Un conseil dont fait sien le rapport du CGAAER.

Ce dernier pointe un autre paradoxe, relatif la balance commerciale : alors que la France exporte bon an mal an entre 20.000t et 25.000t de noix coques, elle importe entre 8000t et 9000t de noix cerneaux du fait des surcoûts de l’énoisage manuel. Le CGAAER recommande d’accentuer les efforts de recherche, d’une part de variétés qualitatives, adaptées à la France, cassables et avec un bon rendement au cassage, d’autre part de matériels de cassage entièrement mécanisés et permettant d’obtenir une qualité élevée au cassage.

Vers une interprofession

Mais c’est sur la structuration de la filière que le rapport focalise son attention. « Le marché de la noix est mondialisé et la place de la France ne lui permet pas de peser sur les conditions de l’offre et de la demande mondiales. Il importe aujourd’hui que les représentants des producteurs de noix puissent mettre en place une organisation nationale durable ». Le CGAAER préconise la mise en place provisoire d’une conférence nationale de la noix française, posant les bases d’une future interprofession, avec trois sujets prioritaires de nature à lui donner de la « visibilité et de la légitimité » : répondre à l’appel à projet « Résilience et capacités agroalimentaires sur la thématique  du programme France 2030 (ou à tout autre appel à projet équivalent), pour proposer un projet de recherche-développement ambitieux sur la noix, ses variétés et les capacités industrielles d’énoisage, étudier la faisabilité d’une nouvelle marque « noix de France » permettant de relier les deux bassins de production et de segmenter le marché et enfin élaborer, en lien avec Interfel, un programme ambitieux de communication générique pour élargir la période de consommation en France, au-delà des fêtes de fin d’année.

Le CGAAER exclut la solution de l’arrachage, qui n’influencerait en rien les cours mondiaux tout en risquant d’affecter les vergers les plus productifs.