Nouveaux fourrages (2/4) : « La silphie, un bon ensilage d'herbe ou un bon foin »

A Darnieulles (Vosges), Julien Solthys a implanté 4 hectares de silphie, soit environ 1% de sa sole, histoire de jauger la productivité et la valeur alimentaire du fourrage destiné à ses bovins. A défaut, d’autres digesteurs pourront toujours la valoriser.

La silphie est-elle en passe de devenir la culture emblématique de la méthanisation ? « Faux, répond Amédée Perrein. Cette année, nous avons inversé le ratio des usages, avec 60% des ventes de semences destinées à produire des fourrages contre 40% pour nourrir des digesteurs ». Amédée Perrein est le promoteur de la silphie en France. Gérant du négoce agricole HADN, basé dans les Vosges, il crée en 2018 une structure ad hoc, baptisée Silphie France. « C’est à la demande d’un agriculteur méthaniseur que je me suis intéressé à la silphie, explique-t-il. Le fabricant allemand de son méthaniseur l’avait sensibilisé à cette culture, répandue en Allemagne pour cet usage ».

Pérenne, la silphie a néanmoins besoin d’eau et d’azote pour assurer une productivité comprise entre 10 et 20 t/ha de matière sèche selon les conditions pédoclimatiques
Pérenne, la silphie a néanmoins besoin d’eau et d’azote pour assurer une productivité comprise entre 10 et 20 t/ha de matière sèche selon les conditions pédoclimatiques

Trois ans plus tard, Silphie France revendique 3200 ha répartis un peu partout en France, dont 2000 ha pour la seule année 2021. La sécheresse 2020 est passée par là. C’est l’une des vertus de la silphie : ses racines plongeant à 2,50 m la protègent en partie du manque d’eau. « Il lui faut tout de même un cumul de 400 mm entre mars et début juillet pour produire, bon an mal an, entre 10 et 20 tonnes de matière sèche par hectare selon les conditions pédoclimatiques et les niveaux de fertilisation », précise Amédée Perrein, qui se garde de présenter la silphie comme une plante miraculeuse.

"La silphie, ça ne vaut tout de même pas la luzerne"

Julien Solthys a décidé d’en implanter 1 ha en 2019 puis 3 ha supplémentaires en 2021. Précision : l’éleveur laitier cultive une proximité familiale, géographique et professionnelle (appro-collecte) avec Amédée Perrein. « Ça ne vaut pas une luzerne », déclare-t-il en préambule, histoire de lever tout soupçon de conflit d’intérêt. « La silphie se situe au niveau d’un bon ensilage ou d’un bon foin. Mais je ne me vois pas distribuer de la silphie à mes vaches laitières. J’en produis trop peu pour l’intégrer dans la ration, ce qui multiplierait les transitions. Et avec deux robots mis en route l’année de la fin des quotas, le Gaec serre toujours les fesses ». Comprenez par là : pas de risques démesurés. Mais le risque climatique, de plus en plus prégnant, amène à repenser les systèmes d’exploitation, d’où le galop d’essai sur la silphie.

Julien Soltys, ici dans son bâtiment en grande partie auto-construit, produit 1,1 millions de litres avec 130 vaches et deux robots
Julien Soltys, ici dans son bâtiment en grande partie auto-construit, produit 1,1 millions de litres avec 130 vaches et deux robots

Le fourrage a été récolté en enrubanné, à raison de deux coupes. « Le plus simple serait de l’ensiler mais j’en avais trop peu pour ce type de chantier », indique l’éleveur. Les bottes ont été distribuées aux génisses et aux bœufs. Rendements, valeur alimentaire ? L’éleveur botte en touche. « C’est encore trop tôt pour se faire une idée du potentiel quantitatif et qualitatif ».

1800 euros par ha, 15 ans minimum

Des références, Silphie France n’en manque pas. Outre les 10 à 20 t/ha de matière sèche évoquées, le promoteur de l’espèce met en avant le taux de protéines, compris entre 13% et 14%, avec des maxi à 16,9% et des mini à 11,8%, soit un avantage significatif par rapport au maïs. Côté énergie, c’est en revanche moins bien, avec des valeurs UF à 0,75-0,80. Ce n’est pas totalement étonnant, dans la mesure où la silphie n’a pas de grain.

A propos de grain, ou plus exactement de graines, la silphie revient cher à l’implantation puisqu’il faut compter 570 euros le kilo de semences, à raison de 3 kg/ha, avec un peuplement cible de 180 000 plantes/ha. Mieux vaut ne pas se louper au semis. « Les semences sont produites en Allemagne et la récolte des graines s’opère manuellement, déclare Amédée Perrein. Une grande partie du savoir-faire réside dans le processus de levée de dormance. Les semences sont certifiées par un organisme allemand, avec un taux de germination supérieur à 90%. L’implantation est couteuse mais le retour d’expérience en Allemagne nous permet de garantir une longévité et une productivité de l’espèce sur 15 ans au minimum. Et chaque année qui passe, c’est une année de recul supplémentaire et une année d’exploitation de gagnée. Sur la durée, et moyennant deux coupes, la silphie est le fourrage le plus rentable, pour compléter la ration et pour sécuriser le stock fourrager ».

Une espèce quasi-zéro pesticide

Côtés intrants, la silphie est plutôt gourmande en fertilisants. « Il faut compter dix unités d’azote pour une tonne de matière sèche, annonce Amédée Perrein. Il faut ajouter 30 à 40 unités de phosphore, 150 unités de potassium et autant de calcium. Les besoins de la silphie sont corrélés à la composition des digestats de méthanisation ». Autrement dit, la boucle est bouclée, pour qui alimente un digesteur, ou récupère le digestat.

La méthanisation constituera toujours un sauf conduit pour la silphie, en attendant d’autres débouchés, dans le domaine des cosmétiques, de la pharmacie et des fibres, auxquels travaille Silphie France.

Situé en zone péri-urbaine, le Gaec de la souche a trouvé avec la silphie une super ZNT et un moyen de (se) protéger des riverains
Situé en zone péri-urbaine, le Gaec de la souche a trouvé avec la silphie une super ZNT et un moyen de (se) protéger des riverains

Côtés phytos, outre le désherbage, et l’anti-limace le cas échéant, la silphie fait l’impasse sur les fongicides et les insecticides, les altises présentes n’étant pas jugées préoccupants, et pas porteuses de viroses.

Pour peu qu’ils ne soient pas exposés aux odeurs d’un méthaniseur, la silphie, c’est pour bon les riverains. « Je l’implante en bande le long des lotissements, je plante un panneau explicatif avec écrit en rouge « zéro pesticide », ça me fait des super ZNT et ça rassure les bobos », s’amuse Julien Soltys.

« La silphie a des feuilles en forme de coupole, capable de retenir 4 centilitres d’eau par étage foliaire, précise Amédée Perrein. En plus de réhumecter la plante, ça fait office d’abreuvoir pour les oiseaux et les insectes, dont les pollinisateurs ». Il faudrait le préciser sur les panneaux, mais la silphie est en prime mellifère.