Quelles seront les influences du phénomène El Niño sur la météo de cet hiver ?

Comment le phénomène météorologique El Niño affecte-t-il le climat à l’échelle de la planète ? Y a-t-il un lien avec le temps humide et les tempêtes observées ces dernières semaines en France ? Le point avec Nicolas le Friant, météorologue.

Qu’est-ce que le phénomène climatique « El Niño » ?

Nicolas le Friant : Ce phénomène climatique est de retour depuis le printemps 2023 et est prévu d'être un fort épisode. El Niño, tout comme son pendant la Niña, est un phénomène climatique à l’échelle mondiale qui se matérialise par la mise en place d’une anomalie positive de température au niveau de l’Océan Pacifique équatorial. Cela s’explique par le fait que les anticyclones subtropicaux, situés dans l’hémisphère nord et sud de l’Océan Pacifique, sont moins robustes (pressions atmosphériques moins élevées). La conséquence est que les vents qu’ils génèrent, les alizés, soufflent moins fortement. Ainsi, les eaux chaudes de l’océan ne sont plus repoussées vers l’ouest du bassin Pacifique, ce qui induit une hausse des températures de l’ordre d’1 à 3 degrés, sur le centre et l’est du Pacifique.

La Niña est le phénomène inverse avec des alizés nettement plus forts qui repoussent les eaux chaudes vers l’ouest de l’océan Pacifique, impliquant une anomalie négative de températures sur le centre et l’est du bassin.

Ces eaux plus chaudes ont tendance à favoriser l’évaporation, ce qui implique une plus importante ascendance de la masse d’air ayant comme conséquence la formation de basses pressions atmosphériques : les dépressions. Ces changements provoquent ainsi des modifications sur la circulation générale de l’atmosphère, pas seulement sur le Pacifique mais bien évidemment à l’échelle de notre planète.

Combien de temps dure ce phénomène ?

Nicolas le Friant : En règle générale, ce phénomène cyclique, dont la durée de retour est de 4 à 7 ans, est généralement observé entre 1 et 3 ans durant lesquels le climat mondial est affecté. Afin de bien analyser la durée et l’intensité d’un tel phénomène climatique, nous avons recours à un indicateur, appelé ENSO (El Niño Southern Oscillation), prenant en compte 6 paramètres :

  • La température de surface de la mer ;
  • La pression atmosphérique au niveau de la mer ;
  • La température de l’air en surface ;
  • La couverture nuageuse ;
  • Les composantes zonales du vent de surface ;
  • Les composantes méridiennes du vent de surface.
Historique des anomalies de températures de surface de la mer au milieu du Pacifique équatorial. Source : https://iri.columbia.edu/

Sur ce graphique ci-dessus, plus l’indice ENSO est important, plus le phénomène « El Niño » est marqué (en rouge), comme il le fut en 2015/2016, en 1997/1998 ou encore en 1982/1983. A contrario, plus l’indice est faible (négatif), plus le phénomène « La Niña » est important comme de 2020 à début 2023, de 2010 à 2012 et de 1988 à 1989. Nous constations donc fort bien les alternances, plus ou moins durables, ainsi que les intensités des phénomènes selon leurs récurrences.

Est-ce que le phénomène en cours va perdurer longtemps ? Selon l’ensemble des modèles, il semblerait qu’El Niño va connaître son apogée lors de cet hiver boréal (été austral) avant un retour progressif à une phase neutre pour le trimestre juin/juillet/août… à suivre bien évidemment.

Quels sont les impacts d’El Niño à travers le monde ?

D’importantes modifications géographiques des systèmes dépressionnaires, responsables des zones instables et orageuses au niveau des Tropiques, sont observées et entraînent des conséquences souvent désastreuses sur l’agriculture et notamment sur les récoltes. L’Asie méridionale, l’Indonésie, l’Australie, le sud de l’Afrique, le Sahel et l’Amazonie connaissent une hausse conséquente des températures sous des conditions plus sèches que la normale. Ces régions sont donc en proie à des sècheresses chroniques (nous nous souvenons notamment de la terrible et meurtrière sécheresse en Éthiopie en 1982/1983) et à d’importants incendies dans les zones forestières en Indonésie ainsi qu’en Amazonie.

A contrario, d’autres zones géographiques reçoivent d’importantes précipitations, comme en Afrique de l’Est, l’ouest de l’Amérique du Sud (entre l’Equateur et le Pérou principalement) mais aussi le sud des États-Unis et le nord du Mexique. Enfin, nous observons une activité cyclonique moins importante sur le bassin Atlantique Nord, y compris vers les Antilles et le golfe du Mexique. En revanche, cette activité est plus importante sur l’est du Pacifique Nord (entre les îles Hawaï et les côtes mexicaines).

Mais ce qu’il faut retenir d’un tel phénomène climatique est qu’il est responsable d’une nette hausse de la température globale de la Terre. En effet, la nouvelle redistribution des précipitations, en défaveur des zones forestières tropicales, engendre une hausse de la teneur en CO2 dans l’atmosphère ainsi qu’une dilatation des océans et donc à une hausse du leur niveau. En résumé, en période « El Niño », le réchauffement climatique en cours est exacerbé. Cela n’a donc pas été une « surprise » que l’année 2016 fut la plus chaude jamais observée sur la Terre en plein épisode El Niño.

De même, il est plus que probable que cette année 2023 soit désormais l’année la plus chaude, détrônant donc 2016. Nous ne sommes d’ailleurs pas sans remarquer que, depuis la fin du printemps 2023 (dans l’hémisphère nord), cette année 2023 se démarque des autres avec une hausse sensible de la température globale.

Source : Copernicus ECMWF https://climate.copernicus.eu

Aussi, au 17 novembre 2023, la température mondiale provisoire, d’après Copernicus ECMWF (graphique ci-dessus), était de +1,17°C au-dessus de 1991-2020. C’est la plus chaude jamais enregistrée.
Mais c'est surtout le premier jour où la température mondiale a dépassé les 2°C au-dessus des niveaux de 1850-1900 (ou préindustriels), à +2,06°C ! Le réchauffement climatique s’accélère !

Quid de l’Europe, et plus spécifiquement la France, pour cet hiver 2023/2024 ?

Nicolas le Friant : S’il est plus aisé d’établir des prévisions météorologiques pour les domaines tropicaux, n’ayant que deux saisons (sèche et humide), il est en revanche plus difficile de les établir pour les régions dites « tempérées » comme l’Europe de l’Ouest et donc la France. Dans le même temps, il faut bien comprendre que chaque évènement El Niño est unique et n’a pas les mêmes répercutions à l’échelle régionale. En effet, d’autres phénomènes météorologiques et/ou climatologiques entrent également en jeu comme l’Oscillation Nord Atlantique par exemple.

Quand nous faisons un retour en arrière des épisodes les plus forts, nous pouvons dès lors tenter d’établir une tendance saisonnière pour les mois hivernaux que sont le trimestre décembre, janvier et février. L’hiver 2015-2016 fut excessivement doux et s’est achevé avec un excédent thermique de 2,6°C et une pluviométrique légèrement excédentaire de l’ordre de 10%. De même, la grande douceur (2 degrés d’excédent) s’est imposée au cours de l’hiver 1997-1998. En revanche, les précipitations ont été déficitaires. Enfin, l’hiver 1982-1983 fut très changeant, mais globalement doux et humide malgré un mois de février 1983 très froid et neigeux.

Résultat, la probabilité statistique qui en résulte voudrait ainsi que l’hiver 2023-2024 en France soit globalement doux à très doux avec une pluviométrie plutôt excédentaire. Cela signifie que la période très humide que nous connaissons depuis la mi-octobre devrait se poursuivre en moyenne sur l’ensemble des trois prochains mois. Néanmoins, cela n’écarte pas le fait que nous pourrions vivre une période, plus ou moins longue, nettement plus froide comme ce fut le cas en février 1983.

Enfin, si nous analysons les derniers modèles numériques en notre possession, la probabilité d’avoir un hiver doux et humide est plus importante. Ce serait donc une bonne nouvelle dans l’optique d’une recharge optimale des nappes phréatiques.

A noter que les tempêtes à répétition (Ciaran, Domingos et Frederico) de la première quinzaine de novembre n’ont pas du lien avec le renforcement d’El Niño. De fait, souvenons-nous que Xynthia en février 2010, ou encore les violentes tempêtes de 1999 (Lothar et Martin) se sont produites lors de périodes climatiques « La Niña ».

Probabilité saisonnière pour le trimestre décembre/janvier/février pour les paramètres : température et précipitation. Source : ECMWF https://charts.ecmwf.int