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Reconvertir une serre en unité de production de microalgues
En Loire-Atlantique, au cœur d'un parc de serres de tomates et de concombres, Stéphane Olivier a implanté une unité de production de spiruline de haute qualité. Un pari ambitieux, sur un produit promis à un bel avenir, mais dont le marché est compliqué par la concurrence chinoise et la demande quasi exclusive pour du bio.
L'eau est d'un beau vert jade foncé et la température ambiante est tropicale : en ces temps de restriction d'accès aux piscines et parcs aquatiques, on y piquerait bien une tête... En réalité, on s'y casserait le cou, car les bassins de production de spiruline sont très peu profonds : 15 à 20 centimètres seulement. La microalgue - qui est en réalité une cyanophycée, une bactérie capable de pratiquer la photosynthèse - s'y développe à son aise, dans une eau à 30 °C, doucement brassée pour maintenir les cellules en suspension.
Avant d'abriter une nursery de spiruline, la serre située à Haute-Goulaine (Loire-Atlantique), au cœur de l'exploitation maraîchère du Groupe Olivier, accueillait jusqu'en 2017 des plants de tomates et de concombres. Trop petite, moins performante en termes d'énergie et d'étanchéité que les serres modernes dont s'équipent à présent les maraîchers, elle était vouée à la destruction.
Mais Stéphane Olivier, alors tout juste revenu sur l'exploitation familiale, après plus de 10 ans de carrière dans l'industrie pharmaceutique, imagine un projet de reconversion : « Nous avions ici de l'eau, de la chaleur et de la lumière : tout ce qu'il faut pour faire pousser des microalgues ». La mode de la spiruline, qualifiée de « meilleur aliment pour l’humanité au 21e siècle » par l’Organisation Mondiale de la Santé, n'a en effet pas échappé au maraîcher, qui est aussi docteur en biochimie et biologie moléculaire.
Un super aliment « à la mode »
Cultivée depuis des siècles (y compris par les Aztèques et les Mayas), la spiruline a en effet le vent en poupe depuis des années : riche en protéines (70% de son poids) avec tous les acides aminés essentiels, elle contient également des acides gras polyinsaturés (en oméga-6), des minéraux, des vitamines et des anti-oxydants (chlorophylle, carotène, phycocyanine).
Au-delà de son apport nutritionnel, on lui prête des vertus sur la vitalité et le tonus, sur la stimulation du système immunitaire ou encore des effets anti-âge. Quelques essais cliniques démontrent que la spiruline réduit le stress oxydatif des cellules et possède un effet bénéfique sur le foie.
Aujourd'hui, de très nombreux compléments alimentaires comprenant de la spiruline ou des extraits de spiruline se vendent dans les rayons bien-être des parapharmacies. Même lorsque leurs fabricants sont français, ces compléments contiennent une spiruline importée la plupart du temps : le premier producteur mondial est la Chine.
Parallèlement à cet engouement pour la spiruline dans les compléments alimentaires, une production de spiruline se développe en France, depuis les années 1970, mais avec une accélération des installations agricoles depuis les années 2000. Aujourd'hui, la Fédération des spiruliniers de France compte une centaine d'adhérents, et le modèle revendiqué par cette association est clairement artisanal, avec vente directe.
Le pari d'un modèle semi-industriel
C'est un tout autre modèle que Stéphane Olivier met en place dans son ancienne serre maraîchère de 2800 m2, lorsqu'il crée la société Olivier microalgues (OMA) en 2015. Nourri de son expérience de l'industrie pharmaceutique, et de son vécu d'entrepreneur du vivant, habitué à suivre des cahiers des charges stricts (pas moins de sept sont en vigueur sur l'exploitation maraîchère), il met en place une unité suivant des normes industrielles.
Son objectif : produire environ 2 tonnes par an de spiruline de très haute qualité. Les clients visés sont d'abord les industriels de l'agroalimentaire et de la parapharmacie, même si les particuliers peuvent aussi acheter la spiruline sur son site internet (olivier-microalgues.fr).
Le process de production de cette spiruline OMA commence par la purification de l'eau utilisée pour le milieu de culture : elle passe via un système de filtration et de stérilisation UV, qui lui garantit d'être exempte de flore indésirable, mais aussi de métaux lourds. « La présence de flore indésirable peut engendrer des odeurs et des goûts désagréables dans le produit final », souligne Stéphane Olivier. Par ailleurs, les filtres à charbon évitent que la microalgue n'accumule des métaux lourds éventuellement présents à l'état de traces dans l'eau.
Normes et équipements agroalimentaires
A l'eau purifiée sont ajoutés des minéraux de qualité alimentaire pour constituer le milieu de culture. La spiruline est ensuite brassée dans 1000 m2 de bassins sur plancher chauffant, où elle se développe en continu, du printemps à l'automne. En été, si la luminosité est trop importante, un voile d'ombrage peut être déployé au-dessus des bassins.
La microalgue est récoltée toutes les semaines et elle est soigneusement rincée : « Ce que je commercialise, c'est de la spiruline, pas du "milieu de culture déshydraté" », précise Stéphane Olivier. Elle est ensuite pressée à froid, puis séchée par ventilation (à moins de 35 °C) pour être commercialisée sous forme déshydratée (en paillettes). OMA s'est également équipé d'une cellule de surgélation, pour proposer de la spiruline sous forme de galets surgelés.
Un marché compliqué
Depuis 2018, première année de production effective, plusieurs industriels ont déjà fait confiance à cette spiruline made in France de qualité supérieure : Algosource, pour la production d'extraits bioactifs, la Fraiseraie de Pornic pour un sorbet citron vert-spiruline ou encore Beillevaire pour un yaourt kiwi spiruline. Stéphane Olivier reconnaît toutefois que les ventes ne sont pas encore à la hauteur des importants investissements qui ont été opérés ces dernières années.
La crise du coronavirus a eu un impact négatif certain sur le commerce, mais l'un des handicaps majeurs de la spiruline française (celle de OMA comme les autres) est de ne pas être bio, alors que le marché réclame impérativement du bio. « Le cahier des charges européen n'est pas adapté, notamment sur la provenance des minéraux ajoutés dans le milieu de culture », regrette Stéphane Olivier. « La filière est en discussion pour le construire. Mais aujourd'hui, la spiruline bio vendue en France est essentiellement de la spiruline d’importation ».
« Si on n'accède pas au label bio, cela sera compliqué pour nous, reconnaît Stéphane Olivier. On continue à avancer, cela prend du temps de nous faire reconnaître... Comme pour nos productions végétales, celui qui décide à la fin, c'est le consommateur ».