« Sans filet contre la mouche asiatique, la cerise de Céret est condamnée »

A Céret (Pyrénées-Orientales), Pascal Traïter estime que les pièges à phéromone ne suppléent pas la perte d’efficacité des insecticides. Pour l’arboriculteur, le salut passera par la pose de filets, impliquant la replantation en palissage. Une décision que son fils, futur installé, prendra. Ou pas.

« Voyez, là au fond du piège, c’est une drosophile, il y a en a tout au plus quelques-unes dans chaque piège, autant dire rien ». Exploitant avec son frère Bernard 11 ha de cerisiers à Céret (Pyrénées-Orientales), Pascal Traïter a expérimenté pour la première fois cette année les pièges à phéromones pour tenter de circonscrire les attaques de la mouche asiatique (Drosophila suzukii). Autant dire que le producteur n’est pas convaincu par cette alternative à la lutte chimique, qui s’est délestée cette année de sa molécule phare qu’était le phosmet, désormais banni de l’UE.

Testés pour la première année, les pièges à phéromones n’ont rien apporté à la lutte contre la mouche asiatique
Testés pour la première année, les pièges à phéromones n’ont rien apporté à la lutte contre la mouche asiatique

Pour parer à « l’urgence phytosanitaire », le ministère de l’Agriculture a délivré une autorisation temporaire à un insecticide alternatif, réputé moins efficace, dont Pascal Traïter ne s’est pas privé.

"J’ai un ami en bio qui, quand il a commencé sa récolte, l’a finie le jour même"

« Ceux qui n’ont pas suivi ce protocole ont subi de fortes attaques », relate le producteur. Quant à la cerise bio, il ne faut pas y songer. « J’ai un ami en bio qui, quand il a commencé sa récolte, l’a finie le jour même ».

La « falda » (jupe), équipement essentiel à la récolte des cerises à Céret
La « falda » (jupe), équipement essentiel à la récolte des cerises à Céret

En dépit de peu de drosophiles piégées, la pression était bien là. Pascal Traïter pense s’en tirer à peu près bien. Il faudra cependant attendre la fin de la récolte pour avoir un verdict définitif. L’arboriculteur exploite une trentaine de variétés pour échelonner la production sur environ deux mois, de début mai à début juillet. « Cette stratégie permet de déjouer les risques, d’étaler le travail et surtout de tenir les acheteurs tout au long de la saison ».

"Je ne veux pas une cerise, verte, ouverte, sans queue ou double"

L’arboriculteur écoule 60 % de la récolte auprès de quelques grandes surfaces des Pyrénées-Orientales, le solde à des demi-grossistes sur la façade sud-atlantique et en vente directe à la ferme. Outre la garantie de volume tout au long de la saison, la qualité est l’autre marque de fabrique de l’exploitation. « Je ne veux pas une cerise, verte, ouverte, sans queue ou double ».

Cette année, l’arboriculteur a réussi à maîtriser les attaques de mouche asiatique, en partie grâce à une dérogation ministérielle autorisant temporairement l’usage d’un insecticide non homologué sur cerise
Cette année, l’arboriculteur a réussi à maîtriser les attaques de mouche asiatique, en partie grâce à une dérogation ministérielle autorisant temporairement l’usage d’un insecticide non homologué sur cerise

Une exigence qui permet au producteur de rester maître du prix et de ne pas prêter le flanc à des risques de retrait « Le retrait, ça n’existe pas chez nous et tous les acheteurs le savent ». On comprend ainsi pourquoi la lutte contre la mouche est capitale. Quand les prix de marché tirent trop ver le bas, Pascal Traïter privilégie les cantines scolaires et les cuisines centrales.

Un autre facteur de production est tout aussi crucial : l’eau. Or, les producteurs de cerises de la région de Céret, comme tous les agriculteurs du département ont dû composer avec des restrictions d’eau dès l’entame de la saison, après un premier arrêté préfectoral daté du 23 février, suivi d’un second le 10 mai dernier.

Les restrictions d’irrigation ont multiplié la production de doubles dans certaines parcelles
Les restrictions d’irrigation ont multiplié la production de doubles dans certaines parcelles

Les restrictions d’irrigation ont multiplié la production de doubles dans certains vergers de Céret. « Avec des restrictions d’eau de 50% dès le départ, la gestion de l’irrigation a été compliquée, indique Pascal Traïter. Le manque d’eau a retardé la maturité, limité la croissance des fruits et quand vient notre tour d’arroser, il faut attendre que la cerise grossisse et que le sucre revienne avant de récolter ». Il faut aussi jongler quotidiennement au téléphone avec les acheteurs pour gérer le planning de récolte et la « coll », l’équipe de cueilleurs.

Cette année, certaines parcelles ne correspondant pas aux standards de qualité « maison » ne seront pas récoltées, la faute au manque d’eau. Pascal Traïter se dit très pessimiste quant à l’avenir de la production de cerises sur Céret. « De 600 producteurs on est passé à 80 et d’une production annuelle 6000 tonnes à 400 tonnes, explique-t-il. Lui et son frère sont du reste pluriactifs. Pour l’arboriculteur, la mouche asiatique constitue la principale menace pour le verger. « La solution, ce serait d’installer des filets, ce qui suppose de replanter tout le verger en palissage ». Une décision qui appartiendra à Joan, le fils de Pascal, qui projette de s’installer dans quelques années, mais qui a d’ores-et-déjà prévu de se diversifier dans le maraichage, histoire de s’assurer... un autre filet de sécurité.