Mouche asiatique sur cerise : « On ne va peut-être pas miser sur la tramontane »

A Reynès (Pyrénées-Orientales), David Cazes redoute plus que jamais les attaques de Drosophila suzukii suite au retrait du phosmet. Avec en prime des restrictions à l’irrigation à la précocité inédite, l’arboriculteur estime que son verger de 5 ha est en sursis.

La cerise de Céret (Pyrénées-Orientales), la plus précoce de l’Hexagone, fera-t-elle l’ouverture d’un 13 heures de Tf1 au mois de mai, comme c’était de coutume avant, pendant et après Jean-Pierre Pernaut ? Pour toute réponse, David Cazes fait la grimace. Entre 2022 et 2023, la donne a en effet changé. « Avec l’Imidan, on faisait un bon nettoyage trois semaines avant la récolte », explique l’arboriculteur. L’Imidan, c’était jusqu’en 2022 le produit qui assurait bon an mal la protection des cerisiers contre Drosophila suzukii, la mouche asiatique dont les minuscules vers infestent les cerises, qui s’écrasent alors entre les doigts. Mais le phosmet, sa matière active, n’a pas été ré-homologuée au sein de l’UE en 2022, au grand dam des producteurs de cerises mais aussi de colza. En 2016, pour les mêmes raisons de santé publique et d’impact environnemental, les arboriculteurs avaient déjà fait le deuil du diméthoate, (interdit en UE en 2019) perdant une carte maitresse de la lutte contre les mouches.

Conscient de l’impasse dans laquelle sont enfermés les producteurs de cerises, le ministère de l’Agriculture a accédé aux quatre demandes de dérogation portées par la filière, jugées sans risque pour la santé humaine. « Ce sont des produits peu rémanents dont on sait qu’ils sont peu efficaces », relativise David Cazes.

En attendant la mouche asiatique, les pollinisateurs font leur miel des cerisiers en fleur
En attendant la mouche asiatique, les pollinisateurs font leur miel des cerisiers en fleur

En gage de bonne volonté, le ministère s’est également engagé à interdire l’importation de cerises en provenance de pays autorisant le phosmet, en dehors de celles certifiées bio par les pays en question. « Mais qui va vérifier ? », interroge l’arboriculteur. Dans un communiqué daté du 29 mars, le ministère affirme par ailleurs « examiner la faisabilité d’un accompagnement financier exceptionnel pour les pertes 2023 que pourraient subir les producteurs en cas d’attaques sévères de Drosophila suzukii ». « Pas entendu parler », rétorque David Cazes, un brin désabusé.

Les pièges à phéromone constituent une des pistes de la lutte combinatoire vouée à se développer dans les vergers
Les pièges à phéromone constituent une des pistes de la lutte combinatoire vouée à se développer dans les vergers

Pièges à phéromone et filets « insect proof »

Le ministère coordonne par ailleurs l'élaboration d'un plan d’action pluriannuel, en étroite concertation avec les principaux acteurs de la filière cerises et de la recherche agronomique, mobilisant tous les leviers et misant sur l’innovation. « On ne va peut-être pas miser sur la tramontane », ironise le producteur, qui a constaté que le vent perturbait les drosophiles, limitant les attaques certaines années. « Mais gare alors aux mouches à deux pattes », rigole le producteur, évoquant les resquilleurs sans vergogne qui font des razzias dans les vergers. Il n’ont pas eu ce loisir en 2022 : le gel avait littéralement anéanti la récolte.

Parmi les pistes alternatives aux insecticides figurent les pièges à phéromone, qui commencent à essaimer dans quelques vergers autour de Céret. David Cazes ne fait pas partie du réseau d’observation, avouant son scepticisme pour « une solution attirant encore plus les mouches. Mais si ça marche, je l’adopterai ».

Pour la première fois en 25 ans, David Cazes est confronté à des restrictions d’irrigation dès l’entame de la saison
Pour la première fois en 25 ans, David Cazes est confronté à des restrictions d’irrigation dès l’entame de la saison

Dans un autre registre, il y a les filets « insect proof » générant une barrière physique à l’introduction des mouches et autres ravageurs. Selon la fiche dédiée du Contrat de solutions, il faut compter 10.000 €/ha d’investissement pour 10-15 ans et 120 h/ha de main d’œuvre la première année, puis 70 à 100 h/ha les suivantes. « Le coût est beaucoup trop élevé pour une petite exploitation comme la mienne, affirme David Cazes. D’ailleurs autour de Céret, aucun verger de cerisier n’est protégé par des filets. Qui plus est, le filet suppose une conduite en palissage et moi j’ai tout en gobelet ».

"Cette année, on entame la saison avec des restrictions d’irrigation, du jamais vu"

Sur une SAU totale de 11 ha, dont 5 ha de cerisiers, 0,5 d’abricotiers, 5,5 ha de vignes et quelques ares de mimosa de culture, le tout sans salarié permanent, David Cazes estime ne pas avoir les épaules assez larges pour se lancer dans des investissements conséquents. Il est d’autant moins enclin à le faire que la campagne 2023 est porteuse d’une autre lourde menace. « Cette année, on entame la saison avec des restrictions d’irrigation, du jamais vu », dit-il.

Le département des Pyrénées-Orientales est en effet sous le coup d’une double sécheresse estivale (2022) et hivernale, qui a conduit la préfecture à classer quasiment l’intégralité du département en situation d’alerte renforcée dès le 23 février dernier, soit l’avant-dernier cran avant la situation de « crise », synonyme d’interdiction d’irriguer. « Pas d’eau, pas de cerise, et même avec un peu d’eau, ce n’est pas dit que les cerisiers, habitués à être arrosés, résistent », craint l’arboriculteur qui, parfois, songe à la tronçonneuse pour priver de gâteau les drosophiles, d’autant plus qu’il produit également du bois de chauffage... Oui mais voilà. L’exploitation a sauté une génération et l’arboriculteur se sent dépositaire de l’héritage familial et au-delà du patrimoine cultural et culturel de ce coin du Roussillon, fier d’adresser chaque année à l’Élysée une cagette des toutes premières cerises de l’Hexagone. « Que de cerises » ou « queue de cerise » ? Réponse au JT de 13 heures dans quelques semaines.