Techniques antigel : quelle efficacité cette année ?

Environ 80 % des vignobles français ont été touchés, à des degrés divers, par le gel d'avril dernier, le plus sévère depuis celui de 1991. Certains de ces vignobles avaient pourtant « l'habitude » des épisodes de gel printaniers et avaient commencé à mettre des techniques en place. Mais toutes n'ont pas été efficaces.

A Gorges, près de Nantes, Frédéric Lailler, vigneron producteur de muscadet bio a presque tout perdu en ce printemps 2021. « Sur mes 10 hectares, il doit m'en rester un demi qui n'a pas gelé », regrette-t-il. Pourtant, l'homme n'a pas ménagé ses efforts pour sauver ses chers ceps. Lui, et son armée de « copains », ont bataillé pendant plusieurs nuits contre le gel, à coup de bougies sur 1,5 ha et de braseros autour de la tour anti-gel (appelée aussi « éolienne »), censée protéger quelques 4 hectares... 

Ces équipements, Frédéric Lailler les avait achetés après plusieurs années de gel en muscadet, et notamment les deux épisodes de 2016 et 2017. « En 2019, on avait réussi à sauver des ceps, se rappelle le vigneron. Les bougies et l'éolienne permettent en général de gagner 2 °C. Mais cette année, les températures sont descendues à – 4 °C. C'était trop bas et surtout trop long. Les vignes étaient fatiguées. On a perdu la partie ».

Le spectre de 1991

L'épisode de gel du début de ce mois d'avril a été exceptionnel par son ampleur sur le territoire français et par sa durée de plusieurs jours consécutifs. Sur le terrain, on le compare souvent à celui de 1991, année de sinistre mémoire. Trente ans après, le gel a engendré la même désolation, affectant presque tous les vignobles français, y compris ceux qui n'ont pas l'habitude de  geler...

Par exemple, le Bordelais a été touché cette année en totalité, alors que d'ordinaire seules certaines zones sont réputées gélives. Comme ces épisodes restaient jusqu'à présent assez rares, les techniques de lutte contre le gel y sont encore très peu répandues. « Nous avons quelques domaines qui disposent de tours anti-gel, commente Sarah Briot-Lesage, en charge de la communication à l'interprofession des vins de Bordeaux. Mais pour la plupart des exploitations, ces équipements représentaient des investissements trop élevés par rapport aux risques ».

Brasser de l'air 

« Quelques domaines, moins d'une dizaine, ont fait voler des hélicoptères », poursuit la chargée de communication. Ces pratiques qui n'ont pas manqué de faire réagir sur les réseaux sociaux (au même titre que les « bougies » réputées polluantes), n'ont concerné que quelques grands domaines et leur efficacité semble avoir été limitée : lorsque l'on brasse de l'air avec un hélicoptère, il faut avoir des couches d'air plus chaud à brasser...

Or, cette année, le gel a été caractérisé par de vastes masses d'air froid. En outre, les températures sont descendues très rapidement au cours de la nuit, avec des alarmes sonnant chez les vignerons dès une heure du matin : impossible de faire voler des hélicoptères avant le lever du soleil.

"Les meilleures tours anti-gel n'ont protégé qu'à peine 30 ares autour d'elles"

Du côté des tours anti-gel, qui ont donc tourné davantage que les hélicoptères, l'efficacité semble aussi avoir été très limitée face à des gels mordants. Ainsi, en Val de Loire, leur effet protecteur s'est étendu sur des surfaces bien inférieures à celles annoncées par les fabricants (jusqu'à 4 ha, pour des tours coûtant autour de 35 000 € HT). Et ce malgré les braseros disposés à leur pied pour les alimenter en air chaud.

« Les meilleures tours anti-gel n'ont protégé qu'à peine 30 ares autour d'elles, et encore à 80 % seulement, indique Florent Banctel, conseiller viticole à la chambre d'agriculture des Pays de la Loire. Avec deux éoliennes côte à côte, on a pu protéger environ 1 ha, à 80 %. Pour avoir une réelle efficacité de ces tours, il faudrait un vrai maillage du territoire ».

Chauffer dehors et émettre du carbone ?

Cette notion de « lutte plus efficace lorsqu'elle est menée collectivement », les vignerons de Chablis la connaissent bien : lorsque tous ensemble, ils allument leurs bougies, ils arrivent en général à limiter les dégâts sur leurs vignes en créant une sorte de nuage de fumée sur un secteur.

Cette année, toutefois, les bougies semblent avoir trouvé leurs limites, en degrés gagnés et en coûts. « Il faut adapter le nombre de bougies à la température extérieure », rappelle Florent Banctel. Ainsi, pour un gel modéré, on peut prévoir 350 bougies par hectare (sans oublier la main d’œuvre qui va avec pour les disposer, les allumer puis les éteindre). Mais pour les niveaux de gel de 2021, ce sont plutôt 500 bougies par hectare dont il fallait disposer.... C'est ce qu'a fait Daniel-Etienne Defaix, vigneron en chablisien : il a ainsi pu sauver 3 hectares de son domaine. Mais à quel prix ! « 4000 euros par hectare et par nuit ».

"J'arrête de chauffer dehors."

En outre, les bougies, comme les braseros et tous les procédés brûlant des matières premières (mêmes végétales), émettent du carbone, acteur principal du réchauffement climatique (la vigne avait 10 jours d'avance cette année). Pour le nantais Frédéric Lailler, la décision est prise : « J'arrête de chauffer dehors. Et il serait peut-être temps de se poser les vraies questions et que les politiques prennent de vraies décisions ».

Aspersion et câbles chauffant : les valeurs sûres

Si cette année les bougies et les tours anti-gel ont donné des résultats mitigés, deux autres techniques, beaucoup moins répandues, ont fait la preuve de leur efficacité : l'aspersion (effet igloo) et le fil chauffant. Leur presque 100 % de réussite font rêver bien des vignobles. « Nous voulons explorer l'aspersion », affirme Sarah Briot-Lesage de l'interprofession des vins de Bordeaux.

Même enthousiasme pour le technicien ligérien Florent Banctel : « Le seul problème de l'aspersion, c'est la disponibilité de l'eau et l'autorisation de prélèvement par l'Agence de l'eau. Les procédés classiques d'aspersion consomment environ 40 m3/ha/h. Mais de nouvelles techniques apparaissent, qui peuvent descendre à 15 m3 ».  Au niveau du coût, celui de l'installation d'aspersion pourrait ne pas être rédhibitoire : de 8 000 à 15 000 €/ha.

Le fil chauffant est quant à lui plus cher : environ 25 000 €/ha, pour un système de fil indépendant pour chaque rang. Mais il présente l'avantage de ne pas nécessiter d'autorisation de prélèvement. Au prix de l'installation, il faut rajouter celui d'un groupe électrogène et d'un transformateur, des équipements qui toutefois pourraient être communs à plusieurs exploitations.

Apprivoiser et maîtriser ces techniques

Enfin, au-delà de leur coût d'installation, Florent Banctel rappelle que ces techniques de l'aspersion et des fils chauffants nécessitent de la maintenance et de la surveillance tout au long de l'année . « Il faut être très au clair là-dessus : les jonctions et tout le système doivent pouvoir fonctionner le moment venu ».

Ce printemps 2021 a aussi été cruel pour d'autres techniques qui semblaient prometteuses : c'est le cas des machines émettrices de brouillard dont l'efficacité n'a pas été au rendez-vous cette année. « La technique reste intéressante, mais très soumise au déplacement des masses d'air : dès qu'il y a du vent, le nuage créé se déplace », poursuit Florent Banctel. Autre méthode qui parait aléatoire : la couverture des vignes, soit rang par rang (avec un « enveloppement » pour emmagasiner la chaleur), soit juste en surface, pour limiter les pertes de chaleur par rayonnement. « Nos résultats d'essai sont très moyens », indique le technicien.

Encore très peu répandues dans les vignobles français, toutes ces méthodes de lutte contre le gel vont sans doute devenir plus courantes dans les années à venir. Comme toutes les autres techniques, elles nécessiteront que les vignerons maîtrisent leur utilisation, les différents paramètres entrant en jeu, les combinent parfois entre elles, voire s'organisent collectivement... Dans cet aspect collectif, les pouvoirs publics ont aussi un rôle à jouer dans l'appui au financement ou dans l'allègement de certaines réglementations.