« Toujours plus de salariés, toujours plus précaires »

A l’occasion d’une conférence organisée par l’Académie d’agriculture de France sur l’état des lieux de l’agriculture post-Covid, Jean-Noël Depeyrot, agroéconomiste au Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture, a décrit l’évolution du travail salarié en agriculture, à partir de données individualisées de la MSA. Verbatim.

Moins d’exploitants, plus de salariés

« Entre 2002 et 2016, la France a perdu 20% d’exploitants et de co-exploitants et 75% d’aides familiaux. Le travail salarié, en particulier temporaire, augmente, en relatif comme en absolu, de 2,2% entre 2010 et 2016. En 2016, l’âge moyen des agriculteurs est de 52 ans. C’est plus que la moyenne des actifs français (40,5 ans) mais moins que dans le reste de l’UE, 23 pays sur 27 présentant un âge moyen plus élevé. »

Une main d’œuvre toujours plus concentrée dans les grandes exploitations

« En 2000, les 10% d’exploitations les plus importantes en terme économique étaient les plus employeuses de main d’œuvre salariée, à hauteur de 3,5 équivalent temps plein. Elles le demeurent en 2016 mais emploient désormais en moyenne 4,5 équivalents temps plein. Ces 10% d’exploitations concentrent à elles seules 22% de la main d’œuvre totale, 14% des actifs familiaux et 40% des salariés. »

Derrière les 220 000 UTA, 756 000 salariés

« En 2016, les salariés présents dans les exploitations agricoles représentent 220 000 Unités de travail agricole (UTA) , autrement dit 220 000 équivalents temps plein. Ce chiffre masque un nombre de salariés beaucoup plus important, que les données de la Mutualité sociale agricole (MSA) chiffrent à 756 000 pour l’année 2016. 80% de ces 756 000 actifs sont des travailleurs temporaires sous statuts précaires. 70% sont des travailleurs saisonniers. La moitié des travailleurs saisonniers ne cumule pas plus de 5% d’un temps plein à l’année. »

Des emplois salariés de plus en plus saisonniers et précarisés

« En 2002, les CDD saisonniers représentaient 25,4% des UTA salariés contre 54,5% pour les CDI et assimilés, 14,2% pour les CDD non saisonniers et 5,9% pour les apprentis. En 2016, les CDD saisonniers représentent 33,6% des UTA salariées, contre 50% pour les CDI et assimilés, 11,3% pour les CDD non saisonniers et 5,1% pour les apprentis. »

Des salariés occasionnels très jeunes, dont un quart d’étrangers

« Un tiers des salariés sans CDI a moins de 25 ans et 45% ont moins de 30 ans. 24% des travailleurs saisonniers sont de nationalité étrangère, ce qui pose avec acuité la problématique de la fermeture des frontières engendrée en 2020 par la crise sanitaire. En 2017, les 67 000 travailleurs détachés répertoriés ont, en moyenne, travaillé 15 jours. »

Des salariés très éphémères

« La moitié des travailleurs saisonniers agricoles abandonne définitivement, à l’issue de leur contrat, le secteur de la production agricole. Outre la problématique de l’attractivité, ce taux de renouvellement pose aussi question du point de vue du management, de l’adaptation et de la formation des salariés. »

Une précarisation qui touche aussi les groupements d’employeurs

« Le nombre de salariés travaillant au sein de groupements d’employeurs a connu une augmentation colossale, passant de 18 000 en 2002 à plus de 70 000 en 2016. Au fil du temps, la proportion de contrats précaires (CDD saisonniers et non saisonniers) a largement pris le pas sur les CDI, en contradiction avec l’un des objectifs des groupements d’employeurs qui visaient à pérenniser et à stabiliser le statut des salariés. »

Le développement de la délégation intégrale des travaux

« L’externalisation de la main d’œuvre, via le recours à des Entreprises de travaux agricoles (ETA) est une tendance forte touchant toutes les orientations technico-économiques. En 2016, 12,5% des exploitations de grandes cultures déléguaient l’intégralité des travaux à des ETA. Dans certains départements, le taux dépasse les 16%. Dans le secteur de l’élevage, le taux de délégation des travaux culturaux varie dans une fourchette comprise entre 4% et 6%. En 2013, les ETA employaient 75 000 salariés contre 48 000 en 2002. »

Deux conjoints sur trois ne travaillent pas sur l’exploitation

« En 2010, 12% des exploitations avaient une activité de diversification (transformation, agritourisme...) tandis que les deux tiers des conjoints non-exploitants ne travaillent pas sur l’exploitation. Les revenus des conjoints non-exploitants représentaient en 2010 28% des revenus des ménages agricoles, participant ainsi à la pérennité des exploitations ainsi qu’à l’installation. Mais paradoxalement, ces activités ont pu être plus affectées par les conséquences de la crise sanitaire que les activités agricoles, peu impactées par la crise en terme de volumes, de prix et de débouchés ».