Tout tout tout pour le pigeon

[Reportage] Matthieu Anézo ne se contente pas d'élever des pigeons pour les grands restaurants. Il maîtrise le circuit complet de la production de ces volailles : depuis la culture des céréales pour les nourrir, jusqu'à leur préparation en plats servis dans son restaurant.

Curieux métier que celui d'éleveur de pigeons. Au quotidien, il ressemble beaucoup à celui d'autres agriculteurs, dans la terre, la paille, les grains, le fumier... Mais de temps en temps, il côtoie les étoiles, en l’occurrence celles des chefs des restaurants gastronomiques, quasiment les seuls aujourd’hui à cuisiner cette volaille rouge.

Comme son père avant lui, Matthieu Anézo, éleveur de pigeons à Mesquer (44), possède cette double culture : paysanne et gastronomique, ancrée dans le sol et perchée dans les sommets de l'art culinaire. Il ne cache d'ailleurs pas son admiration pour le monde des chefs-cuisiniers. « Avec eux, c'est l'infini de la création, c'est la découverte perpétuelle de nouveaux plats, ce sont des créateurs de chefs d’œuvre », s'enflamme le jeune homme de 38 ans, installé depuis 12 ans aux côtés de son père, Rémy Anézo, l'initiateur de l'élevage.

Deux pigeonneaux nouveaux-nés : chaque couple de pigeon pond deux œufs et élève deux pigeonneaux, environ 7 fois par an. (photo Catherine Perrot).

Maîtriser la chaîne de production

Ce dernier est parti de trois fois rien, en 1982. Même pas un lopin de terre, même pas une maison « en dur », juste une passion pour les oiseaux et leur élevage. A partir de quelques couples de pigeons, Rémy Anézo parvient à monter son atelier. Dès que sa situation économique le lui permet, il décide de construire son propre abattoir, pour gérer toute la chaîne de production, depuis l’œuf jusqu’au produit fini. C'est ainsi qu'en proposant ses pigeonneaux en direct, il conquiert plusieurs chefs-cuisiniers du secteur, notamment son illustre voisin de Brière, Eric Guérin, du restaurant La mare aux oiseaux (une étoile au Michelin). S'ensuivent d'autres très grands noms, comme Hélène Darroze, Anne-Sophie Pic, Joël Robuchon, Alain Ducasse...

Après avoir hésité entre plusieurs carrières - il est un peu touche-à-tout -, son fils Matthieu opte pour l'installation aux côtés de son père. Et puisqu'il est touche-à-tout, il va pousser encore plus loin que lui la maîtrise de la chaîne de production : il achète 25 hectares de terres à proximité de l'exploitation, pour y produire une grande partie de la nourriture de ses pigeons.

Les oiseaux bénéficient ainsi de maïs et de blé récoltés à quelques kilomètres à peine de leurs volières, et auxquels ils restituent les éléments organiques contenus dans leur riche fumier. « En me lançant dans les cultures, j'ai eu des débuts un peu difficiles, reconnaît Matthieu Anézo, mais j'ai été bien encadré par mes voisins, et j'ai bénéficié de la présence de la Cuma. Il y a une très bonne entraide localement et grâce à cela j'ai gagné plusieurs années d'expérience dans la culture des céréales ».

Matthieu produit ainsi quelque 100 tonnes de maïs et 70 tonnes de blé, intégralement consommés par les 3200 couples de pigeons de l'exploitation. Il utilise aussi une partie de la paille récoltée pour son propre fumier, et n'achète plus qu'un mélange complémentaire, riche en protéines et acides gras polyinstaturés (pois, tournesol, graines de lin) et huiles essentielles « pour le transit, la peau et le plumage ». L'éleveur maîtrise ainsi mieux le prix des aliments distribués à ses oiseaux, mais également leur qualité : « Quand on travaille pour des grandes tables, on n'a pas le droit à l'erreur ! ».

Un restaurant pour démocratiser le pigeon 

Après avoir étendu la maîtrise de la production vers l'amont, les Anézo ont franchi une nouvelle étape en juin 2021 : ils ont ouvert le premier restaurant français dédié au pigeon ! Un pari un peu fou, mais qui correspond, d'une part, à la passion de Matthieu pour la cuisine et la création de recettes ; d'autre part, à sa volonté de faire connaître sa production au grand public : « Aujourd’hui, seuls deux français sur dix ont mangé du pigeon au moins une fois dans leur vie ».

« Avec mon père, on en parlait depuis plusieurs années : on faisait visiter notre élevage au public, aux familles, aux groupes... Ils dégustaient les produits transformés par nos soins, et ils les appréciaient. Le pigeon est un mets trop méconnu, on croit que c'est réservé aux familles aisées. Ici, on veut faire vivre encore plus notre site et démocratiser le pigeon ».

Ouverte en juillet 2021, La Volière est le premier restaurant français dédié au pigeon et à sa démocratisation. (photo Catherine Perrot).
Ouverte en juillet 2021, La Volière est le premier restaurant français dédié au pigeon et à sa démocratisation. (photo Catherine Perrot).

Le restaurant La volière, qui a pris place dans une ancienne grange, propose en effet des menus tout-pigeon, à des prix « abordables ». « Chez nous, le couvert moyen est à 45 euros ». L'entrée vedette est une planche apéro, qui regroupe une partie des innombrables recettes que Matthieu s'est amusé à créer avec un ami traiteur : saucisson sec, boudin, gésier confit, cuisse fumée, cuisse panée, terrine, chorizo...

« J'ai créé ces recettes pendant les confinements, période très difficile pour nous, comme pour tous les éleveurs de pigeons. Heureusement que l'on a pu vendre une partie de nos produits sur des sites internet et sur les marchés », se souvient Matthieu. Pour les plats servis à la volière, les créations sont de son chef-cuisinier : burger, carpaccio, parmentier, pigeons aux langoustines...  « Le pigeon se prête vraiment à toutes les recettes ! Mon but, c'est de valoriser mon produit. Je veux expliquer ce que l'on mange et donner du plaisir aux gens ».

L'élevage de pigeons, comment ça marche ?

A chaque couvée (7 par an, toute l'année), un couple élève deux pigeonneaux. Ils sont nourris pendant 7 jours au lait de jabot, puis avec des graines régurgitées par les parents. Les petits sont sacrifiés vers l'âge de 5 semaines, à peu près au moment où les parents les mettent hors du nid.

Plusieurs races de pigeons de chair sont élevées (Hubell, pigeon pie, Texan...), et les pigeonneaux sont souvent issus de croisements entre deux races. Il existe une sélection sur les souches de pigeon, surtout sur le poids du pigeonneau à 5 semaines (actuellement, autour de 560 g vif). Les couples produisent pendant 4 ans, avant d'être réformés. La chair de ces réformes est utilisée dans les produits transformés (terrines, saucissons).

On compte environ 130 éleveurs de pigeons en France (ils étaient 300 il y a 10 ans). Seulement le quart d'entre eux disposent de leur propre abattoir.