Un premier biostimulant à base d’urine arrive sur le marché

Dans un contexte de marché tendu des engrais minéraux et organiques, l’utilisation de l’urine en agriculture pourrait retrouver ses lettres de noblesses. Une start-up française a choisi d’utiliser cette ressource comme biostimulant plutôt que comme engrais, avec les mêmes objectifs finaux de réduction de l’empreinte carbone de la fertilisation et d’une moindre utilisation de l’eau potable dans les toilettes.

Si l’idée d’utiliser de l’urine comme engrais peut sembler incongrue aujourd’hui, il n’en a pas toujours été ainsi. Au XIXème siècle, avant l’avènement du tout à l’égout, des collectes étaient réalisées en milieu urbain pour fertiliser les cultures à l’extérieur de la ville. 200 ans plus tard, l’intérêt pour cette ressource naturelle ne cesse de croître à nouveau. Collecter l’urine pour l’utiliser en agriculture répond à deux enjeux environnementaux majeurs : la pollution de l’eau et l’empreinte carbone des engrais minéraux. L’étude Agrocapi, dont les conclusions ont été publiées cette année, étudie les différentes manières de collecter et de traiter l’urine après sa collecte en vue de son utilisation comme engrais. Dans le cadre de ce travail scientifique, des essais au champs ont permis d’obtenir des rendements équivalent à l’ammonitrate avec l’utilisation d’urine.

Engrais ou biostimulant ?

En France, la start-up Toopi vient d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour son produit Lactopi Start. L’entreprise a opté pour une approche singulière puisque son produit n’est pas un engrais, mais un biostimulant microbien. « C’est un produit qui permet de solubiliser le phosphore présent dans le sol ou apporté par l’agriculteur afin de réduire de moitié les besoins. Par exemple, un exploitant qui fait un apport d’engrais starter va pouvoir diviser la dose par deux », illustre Mickael Roes, président et fondateur de Toopi. Pour cette utilisation en tant que biostimulant, l’urine est utilisée comme un milieu favorable à la croissance de la bactérie lactobacillus paracasei plutôt que pour son apport de fertilisant. « L’urine se compose à 95% d’eau. Pour apporter l’équivalent de 120 unités de P2O5, il faudrait épandre 20 000 l/ha d’urine. Ce ne serait pas rentable pour les agriculteurs », explique l’entrepreneur.

"Pour 1 litre d’urine qui rentre, nous produisons 1 litre de biostimulant, il n’y a pas de déchet"

Si l’utilisation de l’urine comme biostimulant plutôt que comme engrais par Toopi nécessite des volumes moins importants, cela représente néanmoins une part importante d’économie d’eau utilisée dans les sanitaires. « Nous avons une capacité de production de 250 000 litres. Pour 1 litre d’urine qui rentre, nous produisons 1 litre de biostimulant, il n’y a pas de déchet », détaille Mickael Roes. L’entreprise envisage à horizon fin 2024 la construction d’un nouvel outil qui permettrait de traiter 1 million de litres d’urine par an. À raison de 9 litress économisés par chasse d’eau en moyenne, cela représente des milliards de litre d’eau en moins dans le stations d’épuration chaque année.

Une collecte spécifique

Pour être utilisée en agriculture, l’urine ne doit pas être souillée par les fèces, ni diluée dans de l’eau. Cela demande une certaine adaptation des installations sanitaires. C’est ce à quoi s’est attelée la société Enygea, spécialiste des toilettes mobiles en France avec ses marques WC Loc pour les chantiers et Happee pour l’événementiel. « En 2022, nous avons collecté l’urine sur 7 événements pour un total de 120 m3 collectés pour Toopi. Pour 2023, nous planifions la collecte sur 18 événements », se félicite Alexandre Guillod, en charge des solutions toilettes sèches chez Enygea. Pour continuer à augmenter les volumes, l’entreprise travaille sur la collecte de toilettes mobiles sur chantiers, de toilettes sèches situées sur l’espace public et dans les établissements recevant du public. « Aujourd’hui nous nous positionnons sur deux fonctions : la séparation de l’urine et la collecte », précise-t-il. 

Pour collecter de l’urine sans eau, Happee s’est appuyé sur le bureau d’étude d’Enygea pour concevoir des urinoirs sans eau inclusif. C’est à dire utilisable par les deux sexes. « Les toilettes sèches sont souvent imaginées avec l’utilisation de copeaux de bois, mais aujourd’hui il y a des technologies de sanitaires sous vide qui évacuent l’urine par aspiration », précise Virginie Milliet, directrice de Happee. Elle évoque notamment l’unité Bostia déployée cet été en événementiel qui contient 5 toilettes sèches qui collectent les fèces par tapis roulant d’un côté et l’urine souillée de l’autre. Cette même unité comporte 8 urinoirs avec une cuve de collecte spécifique afin de recueillir l’urine propre.

Lactopi Start

Le premier biostimulant de Toopi s’utilise à raison de 5 l/ha. Le coût s’élève à 30 €/ha. « Un rapide calcul permet de comparer l’apport d’engrais avec ou sans Lactopi Start. Un apport de phosphore représente une charge de 120 €//ha pour 120 unités de P2O5. Avec notre biostimulant, il est possible de diviser la dose par deux. Le coût s’élève plutôt entre 80 et 90 €/ha », affirme Mickaël Roes. Lactopi Start est distribué par Qualifert et commercialisé par le réseau habituel des coopératives et des négoces. Toopi prévoit déjà de mettre sur le marché trois autres biostimulants bactériens produits dans de l’urine et destinés à :

- Fixer l’azote atmosphérique

- Produire un inoculant pour le soja

- Réduire les effets du stress hydrique