Vivre avec l’épée de Damoclès de la grippe aviaire

Année après année, la grippe aviaire et les mesures de sécurité qui l'accompagnent se sont installées dans le quotidien des éleveurs de volailles. L’épisode actuel a la particularité de survenir alors que la filière ne s’est pas encore remise du pic épidémique du printemps dernier.

Quelques mois … C’est le maigre répit dont auront pu bénéficier les éleveurs de volailles avant le retour en force de l’épidémie de grippe aviaire. Depuis le 11 novembre dernier, l’ensemble du territoire national a été placé en niveau de risque « élevé ». Pour les éleveurs, cette décision implique la mise en place de mesures de biosécurité les plus strictes. « Nous les avons renforcées partout où cela était possible sur l’élevage. Mais pour nous cela n’a pas fondamentalement changé notre quotidien car la Bretagne et les Pays de la Loire étaient déjà en zone de contrôle temporaire depuis quelques mois », relève Christophe Labour, éleveur de dindes et de poulets à Besne en Loire-Atlantique et élu à la chambre d’agriculture régionale.

Concrètement sur son exploitation, cela implique la mise en place d’un pédiluve à l’entrée des bâtiments et la désinfection des roues de tous les matériels et véhicules qui rentrent sur la ferme. « Soit le transporteur est équipé, soit c’est à nous de le faire », constate l’éleveur. Selon la taille des exploitations, chacun trouve la solution la plus adaptée pour ce protocole. « J’ai un petit pulvérisateur à main pour désinfecter les roues et les bottes », témoigne Emmanuel Gabard, éleveur à la tête d’une exploitation biologique de 700 poules pondeuses à Chemillé-en-Anjou dans le Maine-et-Loire. Pour les exploitations de plus grande importance, des systèmes de rampe de pulvérisation par le dessous permettent de désinfecter automatiquement le dessous et les côtés de chaque véhicule entrant sur le site. « Mais la principale mesure de biosécurité consiste à ne laisser personne rentrer dans les bâtiments, hormis l’éleveur, le technicien et le vétérinaire en cas de problème », souligne Christophe Labour.

Le plein air particulièrement impacté

Les mesures de biosécurité les plus importantes sont celles concernant la claustration des volailles plein air. « Avec la zone de contrôle temporaire, nous pouvions encore les faire sortir en courette à raison de 0,5m² par poules. Mais avec le passage en risque élevé, même ça ce n’est plus possible. Personnellement cela me gêne de vendre des œufs bio à mes clients, alors qu’ils ne le sont pas puisque les poules ne sont pas sorties », commente Emmanuel Gabard.

Au quotidien, cette claustration continue dans des bâtiments qui ne sont pas prévus à cet effet génère une surcharge de travail pour l’éleveur. « Il faut pailler plus souvent car la litière doit absolument être propre pour éviter les maladies engendrées par la concentration des animaux, comme la bronchite infectieuse. Il y a aussi tous un tas de problèmes à gérer, comme le piquage ou les œufs sales, que nous avons beaucoup moins quand les poules sortent », témoigne l’éleveur.

Dans les Hauts-de-France, un opérateur de la filière évoque des problèmes de capacité de stockage des fientes chez certains éleveurs plein air, allant jusqu’à des cas de débordement dans le bâtiment nécessitant un raclage quotidien. « Mais les élevages bénéficient également d’un coût d’alimentation moins élevé car les poules ont moins froid et mangent moins », explique cette même source. Pas de quoi rassurer Emmanuel Gabard, qui préférerait être autorisé à protéger ses poules avec un filet ou à les vacciner. « Il y a des choses que les zoos ont le droit de faire et pas nous à nombre d’animaux équivalents. Je ne comprends pas... », se désole l’éleveur. Aujourd’hui il le dit de but en blanc : sur son exploitation, il craint davantage les amendes en cas de non-respect des normes de biosécurité plutôt qu’une contamination par la grippe aviaire.

Des plannings désorganisés

Au-delà de la mise en place des mesures de biosécurité sur leur exploitation, les éleveurs subissent les mêmes mesures impactant le transport d’animaux. « J’ai un lot de poussins qui est récemment arrivé d’une zone concernée par un arrêté préfectoral de mise sous-surveillance. Sur ce lot, je dois lever la mise sous-surveillance sous 21 jours en faisant venir le vétérinaire à mes frais », regrette Christophe Labour. Sur l’aspect financier, il attend également impatiemment le solde des indemnités liées à l’arrêt de production de deux mois du printemps dernier. « Avec le retour de l’épidémie, certains élevages sont à nouveau impactés par un arrêt de production alors qu’ils n’ont pas encore touchés l’intégralité de l’indemnité de l’an dernier », se désole-t-il.

Plus impactant encore, certaines productions nécessitant un élevage des animaux, notamment en poules pondeuses et canard gras, subissent actuellement des retards d’arrivage des nouvelles bandes sur les élevages. Il s’agit d’un effet à retardement des impacts de la grippe aviaire du printemps dernier sur les accouvoirs. « Si l’hiver se passe normalement, la situation en approvisionnement de canetons devrait être rétablie au premier trimestre 2023 », constate l’éleveur ligérien.

Autre effet de la grippe aviaire, certains éleveurs décident de ne pas prendre le risque de repeupler leur élevage. « J’entends parler d’arrêt de production chez des éleveurs proches de la retraite qui ont amorti leurs bâtiments et qui ne veulent pas prendre de risque. Il faut bien comprendre que ce sont des bâtiments qui ne seront sans doute jamais remis en production et qui peuvent représenter jusqu’à 10 % des volumes », relève-t-il.

Autant de facteurs qui tendent les approvisionnements et font craindre un contexte de pénurie. Le cours des œufs en cages a ainsi atteint plus de 15€ pour un conditionnement 360, contre moins de 10€ il y a moins d’un an