Produire des fruits avec moins d'eau

Les évolutions du climat nécessitent de repenser l'irrigation, notamment dans les vergers. Outre des outils comme les sondes tensiométriques, des techniques d'irrigation novatrices, venues de pays du sud, représentent des pistes intéressantes.

Après une période relativement sèche, le mois de juin et ses pluies régulières ont offert un répit aux cultures. « Cette année, nous avons commencé à irriguer les pommiers seulement le 20 juin », observe Olivier Girard, producteur de fruits et légumes à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence). Si, dans certaines régions, l'année 2020 est plus clémente en terme de précipitations, la tendance est au réchauffement, avec des épisodes de sécheresse plus intenses et plus fréquents, et un risque de tension sur les approvisionnements en eau.

C'est d'ailleurs déjà le cas dans certaines zones. « Nous travaillons sur les bassins déficitaires en eau, avec des volumes contraints », explique Fabienne Guyot, chargée d'études sur la gestion quantitative de l'eau à la Chambre d'agriculture des Alpes-de-Haute-Provence. Outre des installations comme le goutte-à-goutte, enterré ou en surface, et les micro-asperseurs, le pilotage précis des apports en eau permet de réduire les volumes, en conservant un calibre et une qualité gustative des fruits suffisants.

« L'idée, c'est de remettre de l'eau quand il faut, pas avant, mais sans trop attendre, sinon il y a ruissellement, résume Fabienne Guyot. Notamment avec le goutte-à-goutte, il faut conserver un bulbe humide, car quand il rétrécit, c'est difficile de le faire regrossir ». En fin de saison, elle conseille de calculer les apports de façon à ce que la plante tire le maximum d'eau du sol, sans qu'il reste de surplus non nécessaire avant l'automne et le retour des pluies.

Suivi tensiométrique

Pour le pilotage, Fabienne Guyot met en avant l'intérêt des sondes tensiométriques. En pratique, elles mesurent une tension dans le sol, variant de 0 à 200 centibar, sachant que plus la valeur est haute, moins l'eau est disponible dans le sol. En résumé, entre 0 et 10 cbar, le sol est saturé en eau ; entre 10 et 20, il est ressuyé ; entre 20 et 50 cbar, la plante est en confort hydrique ; et entre 100 et 150 cbar, le réservoir s'est beaucoup trop vidé. « On conseille de déclencher l'irrigation quand la tension est à 70 cbar, mais cela dépend aussi de l'accès à l'eau, certains producteurs déclenchent à 50 cbar », précise Fabienne Guyot.

A Manosque, Olivier Girard utilise des sondes depuis près de 30 ans, « pour faire des économies, et pour la qualité gustative des fruits ». Avec son fils Guillaume, il cultive sur 50 ha des pommiers (24 ha), des pêchers (4 ha), des abricotiers (1,2 ha), un peu de vigne, de cerisiers et de poiriers, complétés par 5 ha de maraîchage et quelques cultures. Tout est irrigué, et piloté avec du matériel de chez Agro Ressources. Sur pommier, il a installé sept sondes tensiométriques Watermark.

"Une vision plus précise, pour mieux piloter l'irrigation"

Chaque dispositif est composé de six sondes : trois près de la surface, et trois en profondeur. Les pêchers sont équipés de six Watermark, et chaque tunnel en maraîchage est pourvu d'une sonde avec cadran. Le pilotage est complété par un dendromètre Pepista, système développé par l'Inra d'Avignon, qui suit le diamètre d'une branche. Celle-ci va déstocker de l'eau le matin, pour approvisionner le feuillage, et en restocker en fin de journée, permettant de connaître l'état hydrique de la plante.

Avec le dendromètre et les sondes, « nous avons une vision plus précise, pour mieux piloter l'irrigation, fait part le producteur. Les parcelles se ressemblent, mais ce ne sont pas toutes les mêmes ». Il note aussi que certaines variétés ont besoin d'un peu de stress pour améliorer la qualité gustative.

Retenir l'eau dans le sol

Pour Benoit Chauvin-Buthaud, ingénieur conseil spécialisé en arboriculture fruitière, oléiculture, signes officiels de qualité et agriculture de précision à la Chambre d'agriculture de la Drôme, la question de l'irrigation doit être réfléchie dès la plantation, avec des porte-greffes possédant un système racinaire important. « Au niveau des pépinières, il faut conserver la racine pivot, car elle va explorer plus loin », ajoute l'ingénieur. En culture, il souligne l'intérêt de l'argile et de la silice pour protéger les feuilles du soleil, « car en jouant sur les stomates, on réduit l'évapotranspiration ».

L'agroforesterie, ou l'implantation de panneaux solaires pour faire de l'ombre, sont aussi des cartes à jouer, et des outils de pilotage aériens sont en phase de test. « La télédetection, en mesurant l'activité des feuilles, peut permettre de faire de la modulation intra-parcellaire », explique Benoit Chauvin-Buthaud.

Autre levier : la matière organique. « 1 % en plus, c'est 20 % d'eau stockée en plus dans le sol », rappelle l'expert. Ensuite, il y a des solutions encore non-utilisées en France, comme les hydro-rétenteurs, à mettre dans les trous de plantation. Molécules capables de stocker l'eau, elles ne sont pas homologuées dans l'Hexagone pour cet usage.

Irrigation anticipée

Autre piste intéressante pour l'ingénieur, venant de Tunisie : l'irrigation anticipée. « Le principe, c'est qu'au lieu d'irriguer au printemps et durant tout l'été, on irrigue pendant l'automne et l'hiver durant une à deux semaines 24 heures sur 24, pour stocker dans le sol l'eau qui couvrira les besoins de l'arbre pendant le printemps », explique Benoit Chauvin-Buthaud.

Il évoque aussi l'irrigation déficitaire (Partial Root Deficit), développée en Israël, sur des vergers en goutte-à-goutte. L'idée, c'est d'irriguer normalement un côté de l'arbre, et l'autre à demi-dose, en alternant. Un petit stress hydrique est ainsi créé, ce qui réduit l'évapotranspiration, avec peu d'impact sur le rendement. Deux pistes encore non utilisées en France, mais qui pourraient être d'une aide précieuse au vu des évolutions du climat.