Qui sait combien gagnent réellement les agriculteurs ?

Un tiers des agriculteurs gagnent-ils moins de 350 euros par mois ? Pas vraiment. Mais les statisticiens ont du mal à évaluer avec combien vivent ces indépendants, dont le revenu ne peut pas vraiment se comparer à celui des salariés.

Le chiffre de 350 euros, régulièrement cité dans le débat public et diffusé par la mutualité sociale agricole (MSA), ne valait que pour 2015 et 2016, des années de crise pour le secteur. "La manière dont certains ont pu s'emparer des 350 euros en faisant le raccourci : les agriculteurs ont 350 euros pour vivre, ça nous a gênés parce que ce n'est pas le cas", explique à l'AFP Nicolas Bondonneau, directeur délégué aux politiques sociales à la MSA.

En outre, "on est vraiment face à une nature d'activité qui fait que vous ne pouvez pas réduire les ressources d'une personne aux revenus économiques qu'elle tire de son exploitation", ajoute-t-il. L'exercice est en effet complexe : les indicateurs existants donnent les résultats des exploitations agricoles mais ne tiennent pas compte d'éventuels revenus annexes. Or, bon nombre d'agriculteurs, qui dégagent un très faible revenu de leur exploitation, ont une autre activité salariée en parallèle.

Aucun revenu pour 19,5% des agriculteurs en 2017  

L'Insee a publié début novembre une étude sur les revenus d'activité des non salariés montrant que pour 2017, le revenu mensuel moyen le plus bas parmi les agriculteurs était celui des quelque 20.000 éleveurs d'ovins, caprins, et autres animaux (hors bovin) : il s'élevait à 1.160 euros (contre 1.010 euros en 2016). La même étude note que 19,5% des agriculteurs n'ont eu aucun revenu, voire ont été déficitaires, en 2017. Interrogé par l'AFP, l'Insee précise toutefois qu'encore une fois, "ces revenus ne couvrent que les revenus de l'activité non salariée, à l'exclusion de tout autre type de revenus", comme le salaire d'une éventuelle activité salariée exercée en parallèle, les prestations sociales, ou les revenus du patrimoine. 

Agreste, le service statistique du ministère de l'Agriculture, a lui choisi de travailler sur les chiffres du réseau d'information comptable agricole (RICA) : un échantillon de 7.280 exploitations agricoles représentatives, mais qui exclut les plus petites entreprises. Le revenu disponible moyen de ces exploitations ressortait à 32.730 euros annuels en 2017. Cependant, le RICA ne prend pas en compte le nombre de personnes qui doivent "vivre" sur ce revenu disponible par exploitation.

26.000 foyers agricoles bénéficiaires du RSA

Selon l'Insee, 22,1% d'agriculteurs étaient sous le seuil de pauvreté en 2016, ce qui en fait la profession la plus exposée. En attendant une nouvelle publication à une date indéterminée, pour évaluer le nombre d'agriculteurs en situation de précarité, la MSA relève que 26.000 foyers étaient bénéficiaires du RSA en 2018, soit 52.470 personnes couvertes (allocataires exploitants et salariés agricoles, conjoints, enfants et autres personnes à charge). "Il n'y a pas de la part de la MSA, ou des pouvoirs publics, une volonté de dissimulation, bien au contraire", assure Nicolas Bondonneau.

Il reste toutefois encore à construire un indicateur du niveau de vie des agriculteurs, issu du croisement des données récoltées par l'Insee, la MSA, Agreste et les services fiscaux. Le Centre d'étude et de prospective du ministère de l'Agriculture donnera en janvier la restitution d'un appel à projet de recherche auprès de différents organismes, dont l'INRA, sur la définition et la mesure du revenu agricole. Les premières données sont attendues dans l'année. Par ailleurs, le département des synthèses statistiques et des revenus du ministère compte mener une analyse à partir d'une base de donnée de l'Insee combinant différentes sources fiscales.

Alors que la profession a multiplié les manifestations cet automne, et s'apprête à recommencer la semaine prochaine, ce projet permettra une approche "plus complète" de ce que gagnent vraiment les agriculteurs, selon Pascale Pollet, sous-directrice de ce département. Car elle ne sera pas basée sur l'échantillon du RICA, mais sur les données de 250.000 professionnels, et surtout elle prendra en compte tous les revenus du ménage : patrimoine, retraites, et salaires du conjoint. Mais les plus petites exploitations manqueront toujours à l'appel.