Face au blocage de l’acétamipride, une très hypothétique clause de sauvegarde

Si les cas du thiaclopride, du phosmet et du diméthoate constituent des précédents, celui de l’acétamipride diffère du fait de son autorisation au sein de l’UE et de la multiplicité des produits concernés. Pas sûr que l’appel au patriotisme alimentaire soit beaucoup plus efficient.

« Surtransposition = importations », ont dénoncé de nombreuses organisations agricoles après que le Conseil constitutionnel a censuré l’article de la loi Duplomb visant à réintroduire sous conditions l’usage de l’acétamipride, réclamé par les producteurs de betteraves et de noisettes, sans exclure d’autres productions (pomme, poire, prune, maraichage…).

Si les filières s’estimant lésées, voire menacées, par la décision des sages réclament des « mesures drastiques de sauvegarde », l’instauration d’une « clause de sauvegarde », telle que demandée par la Confédération paysanne, parait, d’un point de vue institutionnel, plus ardu.

Diméthoate, phosmet et thiaclopride

Une clause de sauvegarde avait été actionnée en 2016 pour interdire l'importation de cerises traitées au diméthoate, un insecticide dangereux pour la santé. Cette mesure garantie par le droit européen permet à un pays, « en cas d'urgence et de risque sérieux pour la santé animale, humaine et l'environnement, d'imposer des restrictions » concernant l'importation de certains produits, explique Benoît Grimonprez, professeur de droit rural à l'Université de Poitiers. En plus du diméthoate, la France avait utilisé cette clause en 2023, contre les cerises traitées au phosmet, et en 2024 contre les importations de fruits et légumes traités au thiaclopride, un autre néonicotinoïde.

Des précédents en France…

Mais le phosmet et le thiaclopride « n'étaient plus autorisés au niveau européen », rappelle Benoît Grimonprez, contrairement à l'acétamipride.  La France avait actionné la clause comme une mesure d'urgence, dans l'attente d'une norme européenne.

Quant au diméthoate, le ministre de l'Agriculture de l'époque, Stéphane le Foll, avait interpellé l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui avait reconnu que « le risque potentiel à long terme et le risque aigu du diméthoate sur la santé des consommateurs ne peuvent pas être exclus », malgré son autorisation sur le sol européen. Là encore, la France avait pris cette mesure en attendant l'interdiction
dans l'UE à partir de 2019.

... difficilement applicables à l'acétamipride

Pour Benoît Grimonprez, cette clause se justifiait aussi parce que « c'était ciblé sur une filière, la cerise, donc elle était plus facile à mettre en œuvre ». Mais il y a deux différences majeures avec l'acétamipride. D'abord, « en Europe, de multiples produits agricoles sont traités avec l'acétamipride : miel, prunes, produits de maraîchage, pommes, poires, betteraves, noisettes... », détaille le juriste. Il souligne ensuite qu'il existe « déjà une règle européenne qui prend en considération la présence du produit et qui détermine les limites » autorisées pour préserver la santé du consommateur : les Limites maximales de résidus (LMR). Toute tentative de clause de sauvegarde concernant l'acétamipride « s'annonce compliquée », selon Benoît Grimonprez. Ne pouvant être justifiée du point de vue sanitaire, elle porterait « atteinte au principe de libre circulation des marchandises dans l'Union Européenne ». De plus, contrôler la présence d'acétamipride dans les produits de manière généralisée pourrait se révéler compliqué, surtout pour les produits déjà transformés.

Appel au « patriotisme alimentaire »

En réaction à la décision du Conseil constitutionnel, la ministre de l'Agriculture Annie Genevard a assuré vouloir poursuivre le travail à l'échelle européenne « vers une harmonisation des règles phytopharmaceutiques », appelant dans le même temps les Français à « un sursaut de patriotisme alimentaire » dans les choix de consommation pour ne pas pénaliser « deux fois nos agriculteurs ».

Mercredi, dans un hypermarché proche de Strasbourg (Bas-Rhin), des agriculteurs de la FDESA 67 et des JA 67 ont symboliquement retiré des rayons toute une flopée de références alimentaires aux ingrédients potentiellement produits avec de l’acétamipride, dont l’emblématique Nutella mais aussi des biscuits Lu ou Delacre, des friandises M&M's, Kinder ou Maltesers ou encore des tablettes de chocolat Nestlé ou Côte d'or. « Il faut une cohérence totale », réclame Laurent Fischer, éleveur de poules pondeuses et céréalier, secrétaire général de la FDSEA 67. « Nous, on se retrouve dans une impasse par rapport à nos concurrents européens. Si des produits doivent être interdits, il faut les interdire pour tout le monde ».