Des Bouches-du-Rhône à la Normandie, les agriculteurs dénoncent les "incohérences" du gouvernement

A l’appel de la FNSEA/JA, les agriculteurs manifestent depuis tôt ce lundi devant 14 raffineries et dépôts de carburant contre les "incohérences du gouvernement" et les importations de produits agricoles ne respectant pas les normes françaises et européennes, dont l'huile de palme utilisée dans les biocarburants.

Reportage tourné ce lundi matin sur le site de stockage pétrolier de Grigny (Essonne, département 91).

"Nous avons entre 70 et 160 personnes sur 13 sites, et un quatorzième va être bloqué à partir de 9H30, celui de Donges en Loire-Atlantique", a indiqué lundi matin à l'AFP Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, qui a appelé au mouvement avec celui des JA pour trois jours reconductibles. "L'organisation est faite pour durer" car "le dialogue est rompu" avec le gouvernement, explique Damien Greffon, président de la FRSEA d'Ile-de-France, devant le dépôt de carburant de Grigny (Essonne) où les agriculteurs ont déversé de grandes quantités de fumier, de terre et de pommes de terre pour bloquer les accès, sous les yeux de CRS.  

"La France importe un certain nombre de produits qui ne respectent pas les règles qu'on impose aux agriculteurs français. Ça concerne aussi bien la viande du Mercosur, le vin espagnol que l'huile de palme", dit-il à l'AFP. "Nous ne sommes pas contre les importations (...) mais nous voulons, pour le consommateur, que le gouvernement soit cohérent et que les importations soient faites à normes égales, sinon l'agriculture française va disparaître", estime pour sa part Samuel Vandaele, secrétaire général des JA, qui manifeste à Grandpuits, en Seine-et-Marne, devant une raffinerie Total. "Biocarburant: on n'a pas investi pour importer", pouvait-on lire sur les pancartes des agriculteurs manifestant à Vatry (Marne).  

L'accès au site Total de La Mède (Bouches-du-Rhône) est lui bloqué depuis dimanche soir par plusieurs dizaines d'agriculteurs. Jusqu'à 300.000 tonnes par an d'huile de palme, produit hautement controversé car accusé de favoriser la déforestation en Asie du Sud-Est, doivent être importées pour alimenter la bioraffinerie qui doit y démarrer cet été. L'agriculture française peut fournir davantage d'huile de tournesol ou de colza, mais plus chères. "C'est la goutte d'huile de palme qui fait déborder la coupe des problèmes des paysans", résume Pierre Lebaillif, président des JA de Normandie, interrogé par l'AFP. "Pour l'exploitation qui produit du colza, ça peut être à l'avenir des quantités à produire en moins ou des prix qui baissent".

Pas de pénurie en vue

Nécessitant jusqu'à 650.000 tonnes de matières premières par an, la bioraffinerie de La Mède utilisera aussi d'autres huiles, dont 50.000 tonnes de "colza français", a promis début juin le PDG de Total, Patrick Pouyanné. Inacceptable pour les agriculteurs qui ont fait leurs comptes. "Avec la Mède, nous allons perdre 400.000 hectares de colza sur 1,5 million d'hectares au total" estime Samuel Vandaele. Le mouvement des agriculteurs est observé avec intérêt par les ONG environnementales, d'ordinaire opposées à la FNSEA dans les dossiers phytosanitaires. Les paysans espèrent aussi le soutien des consommateurs, en dénonçant les effets sur le contenu des assiettes d'accords commerciaux internationaux, comme le CETA signé avec le Canada et l'accord UE-Mercosur en cours de négociation. Les agriculteurs franciliens ont également collé des stickers dans les stations essence Total de l'Ile-de-france pour dénoncer les importations d'huile de palme.

"En Amérique du sud, la taille moyenne d'un élevage est de 24.000 bovins, en France un agriculteur élève en moyenne 80 vaches allaitantes, et on nous demande d'être toujours plus vertueux sur le plan de l'environnement", fait valoir Christiane Lambert. Les agriculteurs demandent la réintroduction dans la loi Alimentation, examinée à partir du 26 juin au Sénat, d'un amendement sur l'interdiction d'importer toute denrée produite en utilisant des substances phytosanitaires interdites dans l'Union européenne.   

Ils souhaitent aussi que le gouvernement renonce à son contingent d'importation d'huile de palme, et réclament un allègement du coût du travail salarié de saisonniers "qui est 27% plus élevé qu'en Allemagne et 37% plus qu'en Italie", selon Mme Lambert. Une pénurie de carburant n'est pas à craindre dans l'immédiat, la France comptant au total sept raffineries en activité ainsi que 200 dépôts de carburant. De plus, l'Etat dispose de stocks stratégiques pour trois mois.

Avril

Pendant ce temps, la Coordination rurale manifeste devant les porte du groupe Avril. S'ils "soutiennent leurs collègues actuellement mobilisés devant les raffineries" il dénoncent les "faux-semblants" en "manifestant devant le siège social d'un autre acteur majeur en matière d'importation." Dans un communiqué, le syndicat précise que le groupe Avril importerait "près de 200 000 tonnes/an" d'huile de palme pour fabriquer du biodiesel. Et d'ajouter "la CR déplore qu'encore une fois les liens étroits entretenus entre la FNSEA et certains industriels ne viennent fausser le débats et servir des intérêts particuliers."