[Med’Agri] Pac 2021-2027 : 365 milliards € et moi, et moi, et moi

La 1ère édition du salon Med’Agri, consacré à l’agriculture méditerranéenne, s’est conclue par un débat entre les agriculteurs et leurs représentants et le député européen Michel Dantin. Un débat animé par Nicole Ouvrard, directrice des rédactions d’Agra Presse. Morceaux choisis.

Budget : « du ressort des États, pas de la Commission »

Michel Dantin : « la Commission propose de réduire de 15 % en € constants le budget du 1er pilier et de 24 % celui de 2ème. Dans le fonctionnement institutionnel de l'UE, les moyens alloués relèvent de la seule compétence des chefs d'État et de gouvernement. Le Président République s'est exprimé pour affirmer que la France souhaitait maintenir le budget agricole et qu'elle était prête à augmenter sa contribution au budget européen, tout comme l'Allemagne. Trois pays s'y opposent : l'Autriche, les Pays-Bas et la Suède »

Brexit : « il va falloir augmenter la taille des steaks »

M.D. : « le débat budgétaire est percuté par la problématique des nouvelles compétences et par le Brexit. Les nouvelles compétences, c'est la défense et la sécurité, en attente respective de 1,6 milliard €/an et 2,4 milliards €/an. Le Brexit, c'est une perte de 3,5 milliard €/an, soit la contribution nette du Royaume-Uni à la Pac. S'il y a accord sur le Brexit, le Royaume-Uni s'est engagé à payer sa part jusqu'au 31 décembre 2020. En cas de désaccord, le Royaume-Uni cessera de payer le 30 mars 2019. L'autre problème du Brexit concerne les exportations continentales. L'UE à 27 exporte 2 millions t/an de viande bovine au Royaume-Uni, qui peut demain préférer le boeuf américain aux hormones et aux Ogm. Il faudra alors augmenter la tailler des steaks, car on ne compense 2 M t comme ça. On ne construit pas non plus la même Pac si l'on doit absorber 2 millions t de viande. Et bien d'autres produits sont évidemment concernés par le Brexit ».

Pac : « ni politique, ni agricole, ni commune »

M.D. : « la Commission accorde aux États membres une pseudo-liberté d'écrire ce qu'ils veulent. Phil Hogan, qui n'était pas négociateur de la Pac en 2013 mais le Commissaire l'appliquant à partir de 2014, s'est fait engueuler pendant 3 ans. Conclusion : il a fixé les grandes orientations, un cadre, laissant à chaque Etat le soin de faire sa copie, jugée en suite par la Commission. Ce n'est ni politique, ni commun ni agricole. Cela convient à un certains membres au Conseil. Le Parlement veut maintenir une politique commune. C'est tout le débat des mois à venir. Dans une Europe à 27, la réalité naturelle et physique est telle qu'on peut difficilement avoir une politique qui prescrit tout de la même manière depuis Bruxelles, il est donc approprié qu'il existe une marge de manœuvre, mais pas totale. Nous Parlement, nous voulons des normes communes en matière de conditionnalité et de contrôle pour éviter que certains ne fassent rien pendant que d'autres sur-transposent. La proposition de la Commission pose un problème démocratique car c'est l'Administration de la Commission qui sera le juge de paix, et dans 5 ans, c'est à votre député que vous demanderez des comptes, pas aux fonctionnaires de la Commission que vous ne voyez pas et qui n'ont pas de légitimité démocratique. Il faut que les mesures de la Pac soient davantage fixées dans un cadre politique »

Verdissement : « une approche système, source d'innovation et de dignité »

M.D. : « il faut maintenir un système d'aide de base d'un niveau minimum et avec une seule contrainte la conditionnalité. Est-ce que l'aide de base doit concentrer 50 ou 60 % de l'enveloppe ? Cela reste à définir. Plus fondamentalement, faut-il continuer à inventer des politiques qui se traduisent par un contrôle tatillon à la parcelle ou insuffler une dynamique nouvelle en rendant à l'agriculteur sa capacité de chef d'entreprise et en allant vers une évolution système de type bio, agriculture raisonnée, agriculture de précision peut-être, productions sous AOP IGP avec cahier des charges ?Faut-il s'appuyer sur la rotation au lieu de la diversification ? Peut-être, mais à condition que cela applicable partout. Je fais le constat suivant : jusqu'au milieu des années 2000, la première source d'innovation provenait des agriculteurs eux-mêmes. Ensuite, les agriculteurs ont cessé d'être innovants. Peut-être a-t-on atteint un palier ? Je pense que l'on enserré les agriculteurs dans un carcan qui les rend moins innovants. Si l'on soutient une démarche globale de système d'exploitation, on peut redonner une capacité d'innovation aux agriculteurs et par là-même une dignité au chef d'entreprise qu'est un chef d'exploitation ».

Aides couplées : « tous les États contre, tous les États en versent »

M.D. : « il y a 6 ans, on nous expliquait avec virulence que les aides couplées étaient un dispositif du passé. Aujourd'hui, 27 États membres sur 28 y ont recours. Seule l'Allemagne y est opposée mais depuis peu, elle a compris que les aides spécifiques à la production de viande bovine de race dans le Massif Central ou en Irlande avaient leur justification. L'Allemagne a plus de mal à comprendre la Pologne qui en attribue à la betterave sucrière. La Commission propose de baisser le budget alloué aux aides couplées. Le Parlement s'y oppose. Deux questions se posent en matière d'aides couplées. Maintient-on totalement ouverte la liste des productions éligibles ou la réduit-on ? Décide-t-on qu'une partie des aides couplées soit prélevés sur les aides à l'ha pour financer des programmes opérationnels dans des productions qui nécessitent une restructuration économique ? Le cas de la tomate de conservation est peut-être un exemple à suivre ».

Pastoralisme : « une autre interprétation de la Directive habitat »

M.D. : « j'ai convié un directeur de la Direction de l'Environnement à venir constater sur le terrain, probablement en Région Sud Provence-Alpes-Côte d'Azur, les problèmes posés par le loup et l'interprétation de la Directive Habitat. Certains nous citent des exemples de cohabitation possible entre le loup et le pastoralisme. Le constat partagé par beaucoup de pays, partout en Europe, c'est que le loup finit toujours déjouer les mesures mise en place pour le contourner. Le pastoralisme concerne 14 États membres. Sa défense ne fait pas débat. En ce qui concerne les parcours méditerranéens, ceux-ci sont bel et bien reconnus comme étant des prairies mais certains contrôles l'infirment. Nous n'avons pas de fiscalité et de droit social commun au sein de l'UE. Si en plus, les règles de production et d'accompagnement de la production ne sont pas homogènes entre les différentes États, il n'y a aura plus de marché unique".

OCM vitivinicole : « une réussite à méditer »

M.D. : « les programmes nationaux viticoles ont permis de moderniser les chais, d'améliorer la qualité et la compétitivité. C'est une réussite qui démontre que l'on a besoin d'outils de filière. Le constat vaut pour les programmes opérationnels en fruits et légumes, même si la France a peut-être moins réussi que d'autres dans ce secteur. Il en existe aussi pour l'huile d'olive et l'apiculture. Aujourd'hui, c'est le changement climatique qui suscite de nombreuses interrogations. La Commission propose que l'on puisse introduire des variétés hybrides dans les AOP viticoles pour lutter contre le changement climatique. Les professionnels concernés doivent se positionner. Je rappelle au passage que c'est au Parlement que l'on doit le dispositif d'autorisation de plantation entré en vigueur en 2015. La preuve que le parlement, moyennant sueur, peut influer positivement sur la politique ».

Versement des aides : « un échec industriel pour le ministère de l'Agriculture »

M.D. : « en 2018, c'est la première fois que les agriculteurs sont payés en temps et en heure. Depuis 4 ans, j'ai droit chaque année à une séance de confessionnal dans le bureau le Commissaire à l'agriculture qui me demande : « Michel, qu'est-ce qui se passe en France ? ». On est le premier pays agricole de l'UE et on est le seul pays incapable de fournir un état de l'avancement de la Pac. Dans les instances concernées, les représentants de la France ne sont pas toujours très fiers. Grâce à l'ex-ministre Jacques Mézard, on a enfin résolu le problème. Mais le pire est peut-être à venir car dans les années passées, on a versé des avances pouvant être supérieures aux aides réellement dues. En 2019, 2020, voire 2021, il n'est pas exclu, dans le cadre de l'apurement financier, que l'on réclame de l'argent aux agriculteurs pour des aides versées en 2014 ou 201s ».

L'intégralité du débat peut-être visualisée ici (22ème minute). Le député entame le débat par un rappel, pas superflu, du fonctionnement des différentes instances européennes, à savoir Commission, Parlement et Conseil, avant d'évoquer la proposition de budget de la Commission. A noter que le député Eric Andrieu devait aussi participer au débat mais il en a été empêché du fait des intempéries meurtrissant le département de l'Aude. Les deux députés seront réunis le mardi 30 octobre à Narbonne (Aude) pour un débat consacré au vin dans la Pac post-2020.