Réformer l'agriculture et les systèmes alimentaires face au changement climatique

L'agriculture et les systèmes alimentaires mondiaux vont devoir se réformer en profondeur pour nourrir plus de neuf milliards d'êtres humains d'ici 2050, sans aggraver les changements climatiques ni accélérer la réduction de la biodiversité, affirme le chercheur Patrick Caron.

Président du groupe d'experts du comité des Nations unies sur la sécurité alimentaire mondiale, M. Caron, géographe au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD, France), vient de publier avec 26 experts internationaux un article dans "Agronomy for Sustainable Development" demandant la mise en place rapide d'une "stratégie de transition". Pour "éviter une catastrophe".

L'agriculture a été très longtemps ignorée des négociations internationales, c'était un sujet tabou car il ne fallait surtout pas que le sujet vienne polluer les négociations commerciales internationales. Certains pays, l'Inde par exemple, ne voulaient pas soumettre les enjeux de sécurité alimentaire aux négociations internationales, et l'Afrique ne voulait pas obérer son développement au nom de l'engagement des pays industrialisés contre le changement climatique. Mais les choses changent, et la prochaine COP, qui se tiendra en Pologne, devrait parler de l'agriculture et de son rôle dans le changement climatique.

L'enjeu est de concevoir des accords qui tiennent tout à la fois compte des objectifs locaux de développement et des objectifs internationaux sur le climat, afin par exemple que la transformation de l'agriculture, en Bretagne ou au Burkina Faso, puisse être bénéfique pour le développement économique de la région sans être destructrice pour l'environnement.

Nous ne sommes plus au XXe siècle, où il fallait produire toujours plus pour alimenter la planète. Notre article défait ce postulat. La planète a montré qu'elle avait su parfaitement s'adapter à l'augmentation de la population mondiale puisqu'on a multiplié la production agricole par 2,5 alors que la population doublait entre 1960 et aujourd'hui, en passant de 3 à 7 milliards d'habitants. Et heureusement que l'agriculture a été capable de s'adapter, sinon il y aurait eu des famines incroyables! Mais, aujourd'hui la croissance de la population n'est plus le principal moteur de la demande dans les systèmes agricoles et alimentaires, à part en Afrique sub-saharienne.

Pour transformer les systèmes alimentaires, (...) il ne faut plus seulement penser agriculture et alimentation, on embarque aussi l'environnement, les questions sociales, la stabilité politique et les questions de santé humaine. L'accent doit plus être mis sur +apprendre au monde à se nourrir lui-même+, que sur +alimenter le monde+. Notre message est de dire que la transformation des systèmes alimentaires ne s'opérera pas spontanément ni uniquement par transformation technique et technologique, et que cela nécessite un pacte politique sur le sujet.

L'agriculture est largement le premier employeur de la planète, avec 30,7% de l'emploi mondial, selon la FAO, et 80% de la nourriture produite dans le monde vient de petits producteurs. En France et dans certains pays développés, on a tendance à penser que cette part d'emploi diminue, mais c'est faux car elle se développe ailleurs. Au total, 570 millions de familles vivent de l'agriculture dans le monde. Il faut absolument réhabiliter les territoires ruraux pour que la transformation des systèmes alimentaires puisse se faire. Il n'y aura pas de ville prospère sans ruralité prospère, or les campagnes ont souffert d'un manque d'investissement public dramatique.