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Jeudi 13/11/2025
Agriculture de conservation des sols : retourner la charge culturale et culturelle du labour
De l’estimation de sa représentativité, à la création de références technico-économiques, en passant par la formation et l’accompagnement des agriculteurs et de leurs conseillers, beaucoup reste à faire pour sortir de la confidentialité l’ACS, pratique porteuse de durabilité et de souveraineté. En commençant par s’attaquer aux freins sociaux-culturels, selon un rapport ministériel.
Quantifier et caractériser les exploitations pratiquantes, établir des références technico-économiques par type de sol, territoire et orientation de production, créer un observatoire français de l’agriculture de conservation des sols (ACS), développer fortement la formation initiale et continue sur les sols et les pratiques de conservation à l'intention des agriculteurs, des techniciens et des conseillers, sécuriser financièrement la phase critique de transition de l’agriculture conventionnelle vers l’ACS ou encore déclencher une prise de conscience dans toutes les strates du monde agricole de l'intérêt des pratiques de l'agriculture de conservation pour chaque exploitant comme pour la collectivité : telles sont les principales recommandations d’un rapport du Conseil général de l’agriculture de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), commandité par le ministère de l’Agriculture, lequel souhaitait identifier les freins à son développement.
Près de 100 ans après l’émergence du concept, né à la suite des tempêtes de poussière (Dust bowl) érodant presque irréversiblement les sols de plusieurs Etats américains, l’ACS peine à trouver sa place dans les assolements, en France et plus largement en Europe alors qu’elle pointe à 34% des pratiques en Amérique du Nord, 69% en Amérique du sud et 74% en Australie et Nouvelle Zélande. Selon le rapport, l’ACS concernerait entre 2 et 4% des terres arables hexagonales (et 5,2% en Europe) mais les données s’avèrent particulièrement lacunaires.
En revanche, il y a un point sur lequel le rapport ne formule aucune attente : c’est celle de la preuve des bénéfices de l’ACS, pratique jugée « sans inconvénient » par rapport au système conventionnel. Et de citer, « lorsqu’elle est bien maîtrisée », la diminution du temps de travail, maintien des rendements, l’amélioration globale des revenus, aménités environnementales positives (érosion, infiltration de l'eau, biodiversité, matière organique) et des atouts pour l'adaptation aux effets du changement climatique. « De plus, l'ACS reconnecte l'agriculteur à certains volets de son métier, l'agronomie notamment, et lui redonne des marges de manœuvre en termes d'autonomie de décision ».
Pour rappel, selon la définition de la FAO, l’ACS repose sur la couverture permanente du sol, qui consiste à maintenir le sol couvert toute l'année au moyen de résidus de culture ou de couverts végétaux, l'absence de travail du sol, qui consiste à limiter au maximum les perturbations du sol, notamment en pratiquant des semis directs et enfin la rotation des cultures, qui consiste à diversifier les cultures pour améliorer la santé des sols et réduire les risques de maladies et de ravageurs, la rotation/association devant impliquer au moins trois espèces de cultures différentes.
Le rapport souligne que « l'ACS est d'abord et avant tout une affaire d'agriculteurs et de techniciens, souvent pionniers sur leurs territoires », qui cherchent à « améliorer la gestion des sols, à les préserver, à comprendre leur fonctionnement complexe, à créer les conditions pour que le vivant s'y développe et joue son rôle de régulateur naturel ».
En France, l’ACS est promue par l’Association pour la promotion d'une agriculture durable (APAD), qui une ACS rigoureuse telle que définie par la FAO et par le réseau, Biodiversité agriculture sols environnement (BASE), plus ancien, et qui revendique une ACS moins absolue en ce qui concerne le non travail du sol, mais très soucieuse en matière de choix et d'implantation des cultures et couverts.
Une emprise socio-culturelle du labour...
Selon le rapport, les freins à l’adoption de l’ACS relèvent davantage du champ socio-culturel que des prérogatives économiques, « même s'il existe un risque lié à la phase de transition ». Le rapport recommande ainsi au ministère d’étudier, « de manière approfondie », la mise en œuvre d’un mécanisme de couverture du « risque transition ». Non, ce qui bloque, c’est le labour, ou plus exactement la charge culturelle autant que culturale et culturelle du labour. « Le labour est un pilier historiquement fondamental du travail des agriculteurs, celui qui est perçu comme permettant de mettre les terres en valeur, de préparer les sols à l'accueil des cultures, de produire. Ne pas labourer paraît quasi inconcevable », lit-on dans le rapport. « Le renoncement au travail du sol peut être perçu comme une remise en cause de ce qu'ont pratiqué les anciens depuis des générations, une invalidation de leurs choix, de leur manière de mener une exploitation, de leurs convictions agronomiques ». A l’inverse, « une terre non labourée, qui comporte des résidus de culture ou des repousses, est vue par beaucoup comme mal entretenue, voire négligée, proche de la jachère ; l'agriculteur qui l'exploite est perçu comme délaissant ses parcelles, ayant perdu le sens du travail bien fait ».
… à retourner
Pour déjouer les freins socio-culturels, le rapport foumule cing préconisations :
- ne pas condamner ce qui a été fait jusque-là, mais d'expliquer que ces pratiques ont correspondu aux connaissances disponibles et aux contraintes du moment, qu'elles ont répondu aux besoins de la population pour s'alimenter et à ceux du pays pour préserver sa souveraineté alimentaire
- favoriser la prise de conscience par tous les agriculteurs du fait que le sol fait partie de leur patrimoine, au même titre que les bâtiments, le matériel ou le cheptel, et qu'il est de leur intérêt de le préserver, de le respecter, de l'améliorer
- souligner que cette prise de conscience devrait conduire à une évolution des modalités de conduite des cultures, visant à moins bouleverser le sol, à mieux le nourrir, à favoriser son fonctionnement en tant que socle du vivant sur l'exploitation et fournisseur de nombreux services à l'agriculteur
- inscrire l'évolution des pratiques vers l'ACS dans un continuum de progrès qui améliore la situation de l'agriculteur tant du point de vue de son capital sol que de celui de ses performances économiques et environnementales
- insister sur le fait que chaque agriculteur peut trouver de profondes satisfactions en réinvestissant son métier et en reconquérant son autonomie de décision.
Selon le rapport, il ne s'agit pas de chercher à imposer l'ACS comme une « solution définitive à tous les maux du sol, ni de la présenter comme un tout à prendre ou à laisser. Il ne s'agit pas d'interdire tout travail du sol ni de culpabiliser celui qui travaille le sol quand il en a besoin. L'ACS doit être présentée comme un cheminement adaptable à la situation de chacun, à ses objectifs, ses contraintes, son rythme, ses possibilités, ses contraintes », les TCS constituant une bonne voie pour ce cheminement. Le rapport estime que la phase transitoire doit porter sur la pratique des couverts, sur la diversification des cultures et l'allongement des rotations. « C'est lorsque le sol a été ainsi préparé que la réduction du travail du sol peut être abordée » conclut le rapport.