Amandes, olives, pistaches, grenades… la diversification, un pari risqué en arboriculture

Entre les aléas climatiques, les défis techniques à relever et les débouchés pas toujours assurés, « en culture pérenne, le risque d’une diversification d’espèce est énorme pour un potentiel de marges brutes souvent faibles », analyse l’ingénieur conseil Benoît Chauvin Buthaud à la chambre d’agriculture de la Drôme.

« Se diversifier ? Oui… mais non », tranchait Benoît Chauvin Buthaud, ingénieur conseil spécialisé en arboriculture fruitière, signes officiels de qualité et agriculture de précision, lors de la dernière édition des RDV de l’ARBO à Valence dans la Drôme le 10 décembre, qui rassemble l’écosystème technique et productif de la filière des fruits à noyaux. Un discours venu semer des graines de questionnement auprès d’un public d’arboriculteurs en vallée du Rhône particulièrement sensibilisé aux effets du réchauffement climatique, comme des exercices de prospective de tel expert ou compagnie d’assurance projetant des scénarios d’évolution d’espèces à planter, remplacer sinon arracher à dix, vingt, voire trente ans.

"Peu de voyants sont au vert : il y a soit un risque technique, soit économique de filière, ou de climat "

« Ce qui m’interpelle quand on analyse toutes les opportunités de diversification possibles, c’est que généralement peu de voyants sont au vert : il y a soit un problème technique, soit de filière, ou de climat. En culture pérenne, le risque d’une diversification d’espèces est énorme pour un potentiel de marges brutes souvent faibles. Je recommande avant tout d’investir sur sa production principale pour la sécuriser au maximum, et de n’envisager la diversification d’espèces qu’en cas de débouché certain », préconise Benoît Chauvin Buthaud en synthèse aux filières qu’il a analysées. « Si un exploitant a 100 000 euros à investir dans un projet où les risques sont trop élevés, je lui conseille désormais de réfléchir à une diversification sur des revenus non agricoles ».

Il rappelle aussi que les projets de diversification s’observent sur des exploitations le plus souvent très fragiles financièrement, cherchant désespérément un atelier rentable : des situations où la prise de risque doit être évaluée avec beaucoup plus de prudence que sur une exploitation solide et en pleine forme.

L’aire oléicole s’élargit vers les extrêmes

Le cas de l’olivier, sur lequel l’ingénieur a rassemblé des données, est édifiant parce que les porteurs de projet en viennent à oublier l’agronomie de base de l’espèce : proscrire les zones aux sols trop asphyxiants, tenir compte du facteur limitant des températures minimales hivernales (seuils à -6°/-7C pour de très jeunes oliviers et -15°C pour les adultes), planter si on peut irriguer (les besoins en eau de l’olivier sont d’environ 2 500 m3/ha pour avoir une rentabilité intéressante), etc. Côté marché, « malgré un déficit entre la production et la consommation, la probabilité d’une baisse des cours sous les seuils des coûts de production semble évidente avec l’augmentation d’offre non structurée », analyse Benoît Chauvin Buthaud. Or, dans un contexte de changement climatique et de filières en crise comme la viticulture, les plantations d’oliviers se multiplient, suivant un courant de dynamique nouvelle observée également dans le monde. L’aire oléicole s’est élargie vers les extrêmes, tel que le décrit France Olive, de la Colombie britannique au Canada jusqu’en Patagonie en Argentine, rompant avec la culture méditerranéenne.

"En filière olive, une plantation ne doit s’envisager que si le débouché est identifié en prenant de vraies marges de sécurité"

En France, même si la surface oléicole reste à 98% sur sa zone traditionnelle, des projets oléicoles sur de nouveaux territoires rassemblent aujourd’hui plus de 135 hectares, en Gironde, dans le Tarn ou les Charentes… Jusqu’alors confidentielles, ces plantations se septentrionalisent jusque dans la Somme voire dans la Marne. « Dans les gros projets dans les tuyaux, on attend 7 000 hectares d’oliviers dans le Sud-Ouest ou le projet Oil’ive Green qui communique sur un objectif de 60 000 hectares d’oliviers à dix ans. Les investisseurs font le tour des arboriculteurs mais la synthèse des coûts de revient des itinéraires et des rendements est ‘optimiste’ et montre que la rentabilité n’intègre pas assez la notion de risque », met en garde l’ingénieur.

Difficultés voire impasses techniques

A chaque espèce son lot d’aléas. Sur l’amandier, les difficultés techniques sont réelles : la culture n’est pas rustique et est compliquée à conduire en agriculture biologique, contrairement à l’image qu’elle véhicule. En grenade, le marché du frais reste confidentiel, mais 500 hectares seraient plantés dans le grand sud de la France et la production devrait doubler d’ici à 2026 (6 000 tonnes), selon le syndicat France Grenade. Même dynamique de plantation et volonté de création de filière en pistache, avec environ 450 hectares déjà plantés, selon l’association France Pistache. « D’un point de vue technique, ne serait-ce que sur les besoins en chaleur, cette culture présente un fort risque. Ce qui est vrai dans 20 ans en matière de réchauffement climatique ne l’est pas encore ! » alerte Benoît Chauvin Buthaud. Les effets de mode auront-ils raison de la confrontation des aléas en conditions réelles ?