Année blanche, arrachages temporaires : les deux requêtes anti-crise de la filière viticole

[Sitevi 2023] La filière mise sur la combinaison de mesures conjoncturelles et structurelles pour déjouer les difficultés économiques qui confinent à la désespérance, sur fond d’aléas multiples, de déconsommation au plan national et de pertes de marché à l’export.

Le ministre de l’Agriculture est attendu ce 29 novembre dans l’Hérault, avant de parcourir les allées du Sitevi le lendemain. L’occasion pour Marc Fesneau de prendre le pouls d’une filière viticole aux abois, ce que le ministre ne sait que trop bien, lui qui depuis des mois, avec son homologue à Bercy, dénoue les cordons de la bourse pour panser les plaies, tout en frappant aussi à la porte de Bruxelles et à ses réserves de crise.

"On ne peut pas laisser les viticulteurs durablement dans la désespérance"

Jugez plutôt : une enveloppe de 200 millions d’euros dédiée à la distillation de crise pour sortir du marché quelque 4,4 millions d’hectolitres, un plan d’arrachage sanitaire dans le bordelais financé à hauteur de à 30 millions € par l’Etat (+19M€ du CIVB, +10M€ de la Région Nouvelle-Aquitaine) avec un engagement à 38 millions € selon les besoins, un dispositif de prêts bonifiés à 2,5% pour accompagner les viticulteurs dans le remboursement de leur prêt garanti par l’Etat (PGE) et ainsi étaler dans le temps leurs obligations bancaires et leur libérer de la trésorerie ou encore un fonds d’urgence de 20 millions € pour voler au secours des trésoreries les plus exsangues, notamment celles plombées par des attaques de mildiou, non assurables. Sans oublier la nouvelle assurance récolte et son Indemnité de solidarité nationale.

De gauche à droite : Jérôme Despey, 1er vice-président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, Arnaud Gaillot, président des JA et Benjamin Boillat-Rami, président des JA 34
De gauche à droite : Jérôme Despey, 1er vice-président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, Arnaud Gaillot, président des JA et Benjamin Boillat-Rami, président des JA 34

Le tout n’a pas empêché de jeter 6000 viticulteurs dans les rues de Narbonne (Aude) le 25 novembre dernier. « On ne peut pas laisser les viticulteurs durablement dans la désespérance » a déclaré Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, présent à Montpellier (Hérault) le 28 novembre.

Première urgence : une année blanche en 2024

Pour Jérôme Despey, 1er vice-président de la FNSEA, lui-même viticulteur dans l’Hérault, il faut encore aller plus loin dans les mesures conjoncturelles. « Nous réclamons une année blanche sur les annuités d’emprunt », a-t-il formulé en conférence de presse. Elle consisterait à étaler les annuités 2024 sur un nouvel emprunt de 6 à 8 ans, avec des intérêts d’emprunt ramenés à 2,5% quand les taux des banques sont à 4,5%, avec une prise en charge du solde par l’Etat, avec éventuellement le soutien des collectivités territoriales. « Le sujet est crucial car le marché du vin est atone, a-t-il poursuivi. Le risque est de voir la grande distribution en profiter pour faire pression sur le prix du vin ». Jérôme Despey estime à « une vingtaine » de millions d'euros le coût estimatif d’une année blanche

Seconde urgence : négocier à Bruxelles une mesure d’arrachages temporaires

Au-delà de la litanie de mesures conjoncturelles, la filière souhaite renforcer sa résilience au long cours en s’attaquant à des réformes structurelles. Elle propose notamment, la mise en place d’un dispositif d’arrachages temporaires, décorrélé des programmes de restructuration, qui permettrait d’extraire du marché sur une période de 6 à 8 ans une partie de la production, sans hypothéquer à plus long terme le potentiel de production. « Nous demandons au ministre de l’Agriculture de porter cette proposition à Bruxelles », a déclaré Jérôme Despey.  Le dispositif complèterait d’autres aménagements structurels opérés par la filière tels que « l’étanchéité des segments de marché, l’approvisionnement des entrées de gamme ». « Dans un esprit de responsabilité, une mesure d’arrachages temporaires irait de pair avec une remise en question du droit à la croissance de 1% annuel au sein de la filière ». Selon Jérôme Despey, l’initiative française pourrait obtenir le soutien des producteurs espagnols et italiens.

L’avertissement aux pouvoirs publics

La FNSEA, les JA ou encore les Vignerons indépendants attendent de pied ferme le ministre de l’Agriculture sur ces deux principales revendications, alors que les signaux d’alerte se multiplient. Pour la première fois depuis des années, les exportations de vins et spiritueux ont baissé en volumes et en valeur au premier semestre 2023. La consommation domestique poursuit sa chute et affecte désormais toutes les couleurs et pas seulement le rouge. Si l’on ajouter les méfaits, ici et là, aujourd’hui et demain, du changement climatique, toutes les conditions sont réunies pour porter un coup terrible à la viticulture. « Je tiens à souligner le niveau de maîtrise et des dignité ainsi que l’esprit de responsabilité des viticulteurs lors de la manifestation du 25 novembre à Narbonne », a déclaré Arnaud Rousseau, en guise d’avertissement aux pouvoirs publics. La désespérance, au risque de la colère ?