Consommation alimentaire : avis de tempête

En l’espace de deux années, la pandémie et la guerre en Ukraine ont porté un coup fatal à la lutte contre l’inflation, engagée depuis trois décennies.

Ce combat contre la hausse des prix était fondé sur un objectif précis : redonner du pouvoir d’achat aux ménages par la baisse des prix et non par la hausse de leur salaire. Rien qu’en France, le taux d’inflation annuel, qui était à deux chiffres au début des années 1980, s’était progressivement rapproché des 1 ou 2 %. Engagé par les gouvernements, les Banques Centrales et les entreprises, le combat contre l’inflation semblait durablement gagné, d’autant plus que les critères de convergence dans la zone Euro fixaient un seuil moyen à ne pas dépasser, à savoir 2 %.

La période présente en a décidé autrement, ruinant bon nombre d’efforts entrepris depuis quarante ans. D’abord la pandémie et le fort rebond de l’économie ont été les déclencheurs de la hausse des prix. Celle-ci aurait pu se limiter à environ 3 %. La guerre bouleverse ce scénario. Selon l’INSEE, en rythme annuel, l’inflation s’est hissée en mars à 4,5 %, contre 3,6 % un mois auparavant. Deux composantes de l’indice des prix méritent d’être attentivement observées : l’énergie (+29 %), et l’alimentation (+3 %), poste qui révèle que les pâtes, les œufs, le beurre, la viande surgelée, la farine, le café, sont les produits qui ont connu les hausses les plus significatives. Ce regain d’inflation induit du côté des ménages deux types de comportements, qui sont d’ores et déjà préjudiciables pour les filières agricoles et alimentaires.

Le premier est la quête de produits alimentaires dont les prix sont les plus adaptés aux ressources monétaires des ménages. C’est pourquoi l’attitude de « premiumisation », qui consiste à acheter moins mais mieux, est en train de s’inverser, au profit d’une attention particulière portée au prix, qui se traduit par une hausse des parts de marché des enseignes hard discount depuis la fin de 2021. Une attitude qui ne peut qu’entretenir l’éloignement du consommateur des produits issus de l’agriculture biologique ou sous signes de qualité, dont on imagine les répercussions fortes sur des territoires ayant axé leur stratégie d’attractivité sur des marqueurs de qualité.

La seconde relève du quantitatif. La dernière enquête du CREDOC indique en effet qu’un ménage sur deux envisage de réduire ses dépenses, et donc d’acheter moins. C’est près de 70 % chez ceux qui sont les moins aisés socialement. Car il convient d’avoir à l’esprit que l’inflation ne touche pas uniformément toutes les catégories sociales.

La réponse à apporter pour soulager les dépenses des ménages est multiple. Il y a par exemple l’action menée par l’Etat français pour diminuer le coût du litre de carburant à la pompe. On reparle même de ce projet de « chèque alimentaire » pour les ménages les plus en difficultés. Et puis, comme autrefois, lorsque l’inflation était élevée, l’idée d’une augmentation dès salaires s’invite dans les débats. Au regard du redressement des taux de marge moyens des entreprises, il y a une fenêtre de tir, qui est d’autant plus viable que, le chômage étant relativement faible, la demande de main-d’œuvre ne peut que s’établir sur des salaires d’embauche plus élevés. En assouplissant les conditions d’une telle revalorisation des salaires, on sait que cela ouvrirait des débouchés aux firmes produisant des biens alimentaires, tout en incitant les consommateurs à rétablir le lien avec l’agriculture biologique, les signes de qualité, et la proximité avec les producteurs, perspective qui pourrait restaurer un peu de confiance chez les agriculteurs. Mais, comme dans les années 1970, qui se distinguaient par ce que l’on appelait une « spirale prix-salaires », les entreprises se retrouveraient devant la tentation de répercuter la hausse des salaires dans leurs prix, entretenant alors l’inflation. Deux années de bouleversements économiques et sociaux. Et nous n’en serions qu’au début.

Contact : Thierry Pouch