Décapitalisation bovine : et ça continue, encore et encore

Alors que la France a perdu près de 10% de ses effectifs de vaches au cours des six ans passés, l’Institut de l’élevage anticipe une nouvelle baisse de 10% d’ici à 2030. En cause : le vertige démographique et le défaut d’attractivité du métier dû aux revenus mais aussi aux conditions de travail et à la reconnaissance sociale.

A l’heure où la Cour des comptes recommande au ministère de l’Agriculture d’adopter une stratégie de réduction du cheptel bovin conforme aux objectifs climatiques de la France et d’aider les éleveurs les plus en difficulté à se reconvertir, il n’est peut-être pas inutile d’objectiver la trajectoire passée et à venir de l’élevage bovin. Selon l’institut de l’élevage (Idele), au cours des six années passées (décembre 2016 à décembre 2022), le cheptel bovin français a perdu 9,5% de ses effectifs, soit 837.000 vaches, réparties entre 494.000 vaches allaitantes (-11,4%) et 443.000 vaches de races laitières et mixtes (-7,7%).

Trajectoire de la décapitalisation bovine depuis 2016 (Source : Institut de l’élevage)
Trajectoire de la décapitalisation bovine depuis 2016 (Source : Institut de l’élevage)

Une décapitalisation qui s’accélère en 2022

Toujours selon l’Idele, la décapitalisation du cheptel de vaches allaitantes s’est encore accélérée en 2022. Le rythme annuel de baisse est passé de 2,8% fin 2021 à 3,0% fin 2022, le recul des entrées de primipares dans le cheptel ayant été plus fort que celui des sorties de vaches. « La décapitalisation pourrait se poursuivre en 2023, suivant le rythme élevé enregistré en 2022 », indiquait l’Institut de l’élevage lors de sa dernière conférence Grand angle viande.

Accélération de la décapitalisation en 2022 et projections à 2030 (Source : Institut de l’élevage)
Accélération de la décapitalisation en 2022 et projections à 2030 (Source : Institut de l’élevage)

La décapitalisation s’est également accélérée dans le secteur laitier, passant de 1,8% fin 2021 à 2,3% fin 2022. Pour 2023, l’Institut table une baisse de 2%, moindre qu’en 2022, sous l’effet d’un prix du lait attractif pour les producteurs. Du point de vue de la production de viande bovine, après une baisse de 5% en 2022, la production nette de bovins finis est annoncée en baisse de 1,6% en 2023, à 1,337 million de tonnes équivalent carcasse.

Les raisons de la décapitalisation

Selon l’Institut de l’élevage, ce sont les arrêts d’activité qui expliquent très majoritairement la décapitalisation à l’œuvre. Mais les élevages restant en place perdent également des vaches, les agrandissements ne compensant pas les arrêts d’activité. En revanche, les créations d’ateliers apportent presque toujours autant de vaches que par le passé.

La démographie constitue le premier moteur de la décapitalisation. Selon le recensement agricole de 2020, 20% des exploitations ont disparu au cours de la décade 2010-2020. La perte atteint 31% pour celles spécialisées en élevage, 41% pour celles conjuguant production de lait et de viande, 41% également pour celles associant cultures et élevages. En 2020, un quart des chefs d’exploitation avait plus de 60 ans et la moitié plus de 50 ans, ce qui donne une idée du vertige démographique.

Les stratégies économiques expliquent aussi pour partie la décapitalisation, avec en premier lieu la réduction des charges d’exploitation, qui peut se traduire par une réduction du cheptel, sinon du chargement à l’hectare. L’adaptation au changement climatique et la quête d’autonomie alimentaire peuvent aussi peser sur la taille des troupeaux. Il faut aussi compter avec la recherche d’une meilleure valorisation, avec le passage à la transformation et la vente directe, assorties de signes officiels de qualité. Enfin, l’Institut de l’élevage pointe l’investissement dans d’autre activités, à vocation agricole (atelier de volailles, céréales...) sinon énergétique, avec en tête la méthanisation et le photovoltaïque.

Des projections à -10% à l’horizon 2030

Selon l’Institut de l’élevage, les projections à l’horizon 2030 font état d’une perte de 10% du nombre de vaches, qui ne va pas manquer d’amplifier les tensions sur la production et le prix de la viande, avec comme corollaire une multitude d’impacts économiques, sur le prix de l’alimentation, l’emploi, la vitalité des territoires, la rentabilité et le maillage des outils d’abattage. Au plan environnemental, l’Institut de l’élevage fait état d’un bilan est plus mitigé. « La réduction des émissions de gaz à effet de serre devra être mise au regard des atteintes à la biodiversité (prairies) et aux paysages. La complémentarité entre productions animales et végétales (assolements diversifiés, fertilisants organiques) est aussi questionnée ».