Emmanuel Hyest, président de la FNSafer : « La nouvelle loi ne compliquera pas les transactions vertueuses »

Une nouvelle loi adoptée le 23 décembre dernier instaure un contrôle de l’État sur certains transferts de parts de sociétés détenant ou exploitant du foncier agricole. Dans cette procédure destinée à réduire les risques de spéculation foncière et d'accaparement des terres, les Safer instruiront les dossiers, au nom et pour le compte de l’État.

Attendue et réclamée depuis des années par la profession agricole, tous syndicats et organisations confondus, et recommandée en 2020 par la Cour des comptes, une politique foncière agricole rénovée, définie par une nouvelle « grande Loi foncière » ne verra pas le jour, du moins pas sous l'actuel mandat présidentiel.

Protéger durablement les terres de l'artificialisation, favoriser l'installation et le maintien d'un maximum d'exploitants sur le territoire, éviter les spéculations foncières, lutter contre l'accaparement des terres : tels étaient les objectifs que le monde agricole, accompagné d'associations environnementales et d'élus, aurait voulu assigner à cette grande loi.

Procédure accélérée pour loi d'urgence

A la place toutefois, une « petite loi » a été engagée en procédure accélérée par le Gouvernement en 2021 :  la loi « portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires », dite aussi loi Sempastous, du nom du député LREM des Hautes-Pyrénées ayant déposé la proposition en février 2021, a été adoptée définitivement le 23 décembre 2021 après passage dans les deux assemblées.

Principale cible de cette nouvelle loi : les opérations, notamment les cessions de parts, des sociétés détenant du foncier agricole. Ces cessions sont devenues courantes, puisque désormais plus de la moitié de la SAU française appartient à des structures sociétaires. Toutefois, les observateurs du marché foncier, la Safer au premier rang, ont pu constater qu'une partie de ces cessions se faisaient dans l'objectif prioritaire de contourner la régulation foncière.

Jusqu'à présent en effet, la Safer ne pouvait intervenir (via son outil, le droit de préemption) que dans les cas où les cessions concernaient la totalité des titres d’une société et si la cession compromettait une installation. Un moyen simple de contourner le contrôle par la Safer consistait donc à ne céder qu'une partie des parts d'une société à un tiers et le foncier allant avec, puis de refaire une cession partielle, quelque temps après.

Un seuil de déclenchement de nouveaux contrôles

Le nouveau texte instaure un nouveau mécanisme de contrôle par les Safer, qui s'appliquera lorsque que deux conditions seront réunies : premièrement, dès lors qu’une vente sera supérieure à 40% des parts de la société. Les parlementaires ont cependant exempté de ce contrôle les cessions entre époux, partenaires pacsés et les cessions intrafamiliales jusqu’au quatrième degré (cousins germains), dès lors que ces membres de famille s’engagent à poursuivre l’exploitation. Ont aussi été exemptées les transactions entre exploitants associés de longue date.

Deuxième condition pour le déclenchement du contrôle : lorsque la surface totale détenue après l’acquisition dépasse un seuil "d’agrandissement significatif". Celui-ci sera fixé par le préfet de région et il sera compris entre 1,5 fois et 3 fois la surface agricole utile moyenne régionale. Si, après examen du dossier, la Safer estime que la transaction conduit à un accaparement significatif, elle peut transmettre un avis défavorable au préfet de département. C'est en effet ce dernier qui prendra la décision d’autoriser ou de refuser les prises de participations sociétaires. 

Rétablir transparence et équité sur le marché foncier

Selon Emmanuel Hyest, président de la FNSafer, cette loi rétablit « une transparence globale sur le marché du foncier agricole » et elle ne devrait pas avoir de répercussion sur la plupart des transactions foncières entre sociétés. « Pour les transactions vertueuses, ça ne changera pas grand-chose. L’autorisation sera donnée rapidement », assure-t-il. « C'est dans l’intérêt de tous qu'il y ait le moins de contraintes ».

Dans les autres cas, jugés moins vertueux, la Safer régionale pourra être amenée à faire ce qu'elle sait faire depuis toujours : négocier et trouver un compromis. Ce compromis pourra prendre la forme d'une compensation, c'est-à-dire que la transaction sera approuvée par le Préfet à condition qu'une partie des terres de la société acheteuse soient rétrocédées à la Safer, ou à un agriculteur, en vue d'une installation.

Pour Emmanuel Hyest, le réseau des Safer sera à même de conduire ces nouvelles missions. La loi prévoit toutefois une évaluation du dispositif dans trois ans, sa complexité, ses éventuels blocages et cette évaluation sera aussi l’occasion de mesurer le travail supplémentaire engendré pour les équipes de la Safer.

Accueillie très favorablement par la FNSEA/JA/FNSafer/APCA (à l'origine des propositions), ainsi que par la Coordination rurale, la nouvelle loi est jugée trop timorée par le collectif Confédération Paysanne/FNAB/FNE/Terre de Liens/AGTER : c'est notamment le seuil de surface de déclenchement du contrôle (entre 1,5 fois et 3 fois la SAU moyenne régionale) qui est jugé beaucoup trop élevé. Les décrets d'application de la nouvelle loi ne sont pas encore parus, mais tous les acteurs agricoles espèrent qu'ils le seront dans les prochaines semaines.