Espaces-test à l'installation (3/4) : "Garder des rêves et perdre quelques naïvetés"

Sans compétence et sans expérience, Thibault Forestier a un peu « ramassé » pour sa première année sur le lieu-test maraicher géré par l’association Ilots Paysans à Laprugne (Allier). Ragaillardi, il entame sa seconde saison, délesté de quelques principes mais riche de sa mue vers l’autonomisation.

« Je fais partie de ces gens attirés par le maraichage alternatif », évacue d’emblée le jeune maraicher, histoire de ne pas tourner autour des pots et plaques de semis. Et débarquant, au début de l’année 2020 sur un des lieux-tests de l’association Ilots Paysans, Thibault Forestier n’était pas totalement novice en matière d’agriculture mais pas loin.

Avec un master de cinéma en poche, il sortait d’un petit tour de France de woofing (travail et échange d’expériences contre gîte et couvert) qui l’avait mené dans plusieurs exploitations, dont celle de Clément Kraus, maraicher bio à Chatel-Montagne (Allier). Ce dernier était sur le point de délaisser son ex-site d’exploitation d’un demi hectare pour le confier à Ilots Paysans et le convertir en lieu-test, conduit en bio lui aussi.

Thibault s’est porté candidat et a pris possession du lieu au début de l’année. « J’aurais pu découvrir le métier en postulant comme salarié dans une exploitation mais l’espace-test m’a permis de me confronter autrement à la réalité, explique-t-il. L’espace-test est une très bonne école pour jauger les exigences en terme d’autonomie dans une perspective d’installation ».

Avec Clément Kraus, son tuteur : « je peux donner des conseils, interdire certaines choses mais je dois aussi laisser Thibault faire ses erreurs »
Avec Clément Kraus, son tuteur : « je peux donner des conseils, interdire certaines choses mais je dois aussi laisser Thibault faire ses erreurs »

En butte avec les buttes

Sans diplôme et sans expérience, aux prises avec une quinzaine d’espèces différentes, le jeune maraicher a forcément ramassé : des semis de carotte qui ne lèvent pas, des défauts d’aération de la serre qui font jaunir les concombres, des attaques d’altises. « J’ai aussi été très surpris par la violence des attaques de doryphore, déclare-t-il. Faire du maraichage, c’est entrer en conflit avec la nature. Il faut se rendre compte de cela. Les plantes sauvages n’ont pas forcément les mêmes intérêts que les plantes domestiques. L’espace-test m’a permis de découvrir ces tensions parfois très virulentes ».

Au plan technique, Thibault Forestier tente de mettre en pratique certains principes de la permaculture comme la culture en buttes et la densification, censée alléger les contraintes et la charge de désherbage. « Pour la seconde année, je vais me recentrer sur un maraichage traditionnel, confie-t-il. Il existe un patrimoine technique, il n’est pas là pour rien ».

Et le tuteur, il sert à quoi dans ce type de situation ? « Je peux donner des conseils, interdire certaines choses mais je dois aussi laisser Thibault faire ses erreurs, dans la mesure où ce n’est pas trop impactant, répond Clément Kraus. Tout est contractualisé dans le cadre de la convention avec Ilots Paysans ». Autodidacte, hors cadre familial et hors parcours à l’installation, le tuteur n’est pas du genre intrusif.

Le lieu-test géré par Ilots Paysans bénéficie d’une convention de partenariat avec Vichy Communauté, dans le cadre de son Projet alimentaire territorial
Le lieu-test géré par Ilots Paysans bénéficie d’une convention de partenariat avec Vichy Communauté, dans le cadre de son Projet alimentaire territorial

Simplifier les circuits de vente

Thibault Forestier s’est aussi frotté à la vente, car en dépit de ses péripéties techniques, la production de mesclin, radis, choux, haricots verts, tomates poivrons et autres courgettes était bel et bien au rendez-vous. La crise sanitaire n’a évidemment pas arrangé les choses et en plus de le priver de la clientèle de restaurateurs, elle a contraint le maraicher démultiplier les livraisons.

« L’idée l’année prochaine, c’est d’alléger et de simplifier les circuits et de pousser la vente sur les épiceries », explique-t-il. La communauté de d’agglomération Vichy Communauté, partenaire d’Ilots Paysans dans le cadre de son Projet alimentaire territorial, devrait aussi faire partie des nouveaux débouchés du lieu test.

"J’ai une chance énorme de vivre l’expérience d’un espace-test"

Après la phase exploratoire qu’a constituée cette première année, la seconde devait permettre de valider un certain nombre d'options techniques et commerciales. Au-delà, Thibault aura la possibilité d’accomplir une troisième année sur le lieu-test, ou de passer à l’étape suivante. L’installation ? « C’est encore prématuré, estime-t-il. Si c’est le cas, j’en passerai par une formation diplômante et les parcours à l’installation et je me rapprocherai de la Marne, ma région d’origine. Le choix de l’espace-test est un choix très fort. J’aurai découvert une expérience magnifique en rupture avec tout ce que je connaissais avant, une grande année pour découvrir un métier, la vie à la campagne, un métier. J’ai une chance énorme de vivre l’expérience d’un espace-test, qui permet de garder des rêves et de perdre quelques naïvetés ».

 

Tous les articles de la série :

Espaces-test à l'installation (1/4) : Le coup de pouce aux jeunes pousses

Espaces-test à l’installation (2/4) : « Les fruits d’une mûre réflexion »

Espaces-test à l'installation (3/4) : « Garder des rêves et perdre quelques naïvetés »

Espaces-test à l’installation (4/4) : « Trois ans, un minimum pour se tester en élevage »