- Accueil
- « Ils ne se parlent plus, ne s’écoutent plus » : la médiation, un remède pour désamorcer les tensions au sein des exploitations
« Ils ne se parlent plus, ne s’écoutent plus » : la médiation, un remède pour désamorcer les tensions au sein des exploitations
Les installations agricoles sont précieuses pour assurer l’avenir de l’agriculture française. Mais parfois, tout ne se passe pas comme prévu. Car dans la préparation de l’installation, le facteur humain a été mis au second plan, voire négligé. Rencontre avec une médiatrice professionnelle, qui intervient souvent dans des situations de crise post-installation.
Une installation en agriculture est toujours une grande aventure. C’est la concrétisation d’un projet que le candidat porte depuis longtemps et qu’il a construit sur les plans technique, économique, juridique, foncier, bancaire, administratif, réglementaire…, dans le cadre d’un parcours très accompagné et très codifié.
Conséquence de ce parcours solide : les échecs d’installation sont plus rares en agriculture que dans d’autres secteurs d’activité, ce qui est une bonne nouvelle, au vu de l’importance du renouvellement des générations. Mais il en ressort aussi qu’une grande partie des échecs, lorsqu’ils surviennent, ne sont pas liés à des facteurs techniques ou économiques : ils résultent de difficultés dans les relations humaines.
« Je me sens légitime en milieu agricole »
Les relations humaines difficiles, c’est justement la spécialité de Cécile Lalloué, médiatrice depuis trois ans. Son diplôme, un « certificat de spécialisation en négociation et médiation en milieu professionnel », lui permet d’exercer dans tout type de milieu. Mais c’est dans le milieu agricole qu’elle se sent « la plus légitime ».
« Mes parents étaient agriculteurs. J’ai un BTS agricole et j’ai exercé pendant 10 ans comme conseillère d’élevage », relate-t-elle. Avant d’être médiatrice, Cécile a aussi occupé plusieurs postes à la chambre d’agriculture, dans les services environnement et emploi. Et encore avant, elle s’est installée comme associée au sein d’un Gaec comprenant deux couples de deux générations différentes.
Après l’euphorie de l’installation
Cette expérience a été brève, moins d’une année en 2016, mais douloureuse sur les plans psychologique, physique, et même financier. De ces souffrances, qui ont affecté toute sa famille (car son conjoint était lui aussi installé), Cécile en fait aujourd’hui une force : son histoire personnelle l’aide à comprendre les situations similaires qui se présentent à elle.
Les installations « qui se passent mal » représentent en effet une bonne partie des demandes de médiations que reçoit Cécile. « Souvent, au tout début d’une installation, il y a une sorte d’euphorie, tout le monde se focalise sur le projet, sur le matériel : le nouveau bâtiment, le nouvel atelier. Et on oublie l’essentiel : comment chacun s’épanouit, comment chacun gère son temps. C’est alors que surviennent les problèmes relationnels ».
« Il n’y a pas de raison qu’on ne s’entende pas bien »
« Le schéma typique, c’est le Gaec parent/enfant, poursuit Cécile. Avant l’installation, ils se disent : "On n’a pas besoin de se parler, il n’y a pas de raison qu’on ne s’entende pas bien !" ». Conséquence : les futurs associés ne prennent pas le temps de se poser pour discuter ensemble du projet d’entreprise, des prélèvements privés, du règlement intérieur, comme on le ferait avec un tiers.
Contrairement à ce qu’ils croient, les parents/enfants associés dans une exploitation, ou juste en situation de cédant/repreneur, ont de multiples raisons de ne pas bien s’entendre : « Ils sont différents en âge et en génération, ils ne sont pas au même stade de carrière -l’un la termine, l’autre la démarre-, ni aux mêmes étapes de vie familiale. Et ils ont souvent des attentes, des envies et des objectifs différents… », analyse la médiatrice.
Un point sur lequel Cécile constate souvent des divergences, c’est « la place du travail dans la vie ». « Pour certains agriculteurs parmi les plus anciens, le travail passe avant tout, avant même la famille. Un associé qui partirait le soir à 18 heures pour conduire son enfant à une activité serait mal vu. Et je ne parle même pas d’un jeune papa qui prendrait son congé paternité…».
« On est partis de rien et vous, vous avez déjà tout »
« La génération des parents est souvent « partie de rien » et elle a l’impression que les nouveaux arrivants « ont déjà tout » à leur installation ». Il peut s’ensuivre des sentiments de jalousie, des mécanismes de culpabilisation, d’emprise... D’autant plus douloureux que cela se déroule en famille, « où tout est mélangé ».
D’autres points de frictions que rencontre souvent la médiatrice sont la manière de travailler (l’exemple typique étant la traite robotisée qui n’est pas acceptée par les parents), les objectifs de production, ou encore l’accès aux informations : « Parfois, tout l’administratif reste chez les parents. Le nouvel installé n’a pas un accès facile aux papiers », remarque Cécile.
Cette inégalité de l’accès aux informations est souvent le reflet de l’inégalité dans le Gaec : les enfants associés restent « les enfants », ils ne sont associés que « sur le papier » et sont parfois considérés presque comme des salariés. Difficulté supplémentaire : le monde agricole reste un univers assez pudique, assez taiseux, où l’on parle peu de ses sentiments.
« La médiation n’est pas une science exacte »
Les médiations que réalisent Cécile permettent en général de reprendre les échanges, entre des gens qui ne communiquent plus du tout. « Ils ne se parlent plus, ils ne s’écoutent plus. Quand enfin ils parviennent à s’écouter, ils sont surpris et disent "je ne pensais pas que j’avais fait autant de mal" ».
Les sentiments refoulés parviennent à être exprimés, et celui que Cécile rencontre le plus souvent c’est la peur : peur de l’échec, peur de ne plus avoir sa place dans l’exploitation ou dans la société, peur de faire de la peine à l’autre. « Il y a aussi souvent beaucoup d’amour, mais il est exprimé de manière maladroite ».
« La médiation n’est pas une science exacte. Je ne sais jamais à l’avance quelle sera l’issue. Parfois ils se séparent, parfois ils vont trouver une solution pour continuer à travailler ensemble. Souvent, ils sont d’accord sur une chose : sauver l’exploitation. Ce n’est jamais moi qui trouve la solution. C’est eux. Et comme elle vient d’eux, je sais qu’ils vont s’y tenir », estime Cécile. « Je sais aussi que lorsque les gens font la démarche de m’appeler, c’est déjà presque gagné ».
Besoin d’un médiateur ?Cécile Lalloué reconnait qu’elle trouve aujourd’hui facilement ses clients sur son secteur (Loire-Atlantique-Ille et Vilaine), via le bouche à oreille. Elle possède aussi un site internet pour se faire connaître. Il n’existe pas d’ordre des médiateurs en milieu professionnel, mais plusieurs associations et organisations de médiateurs, auxquelles certains d’entre eux peuvent adhérer (on peut les retrouver sur internet en tapant "association de médiation en milieu professionnel"). |