Installations : des profils surprenants chez les nouveaux agriculteurs

Une étude réalisée sur les nouveaux installés en 2018 et 2022 met fin au clivage entre les fils et filles d’agriculteurs et les néo-ruraux. Les cinq profils identifiés lors de cette approche sociologique sont bien plus subtils que les clichés ne pourraient le laisser penser.

Dresser un portrait des nouveaux entrants en agriculture pour mieux les accompagner et encourager l’installation : c’est la mission qui a été confiée à l’équipe de sociologues de l’ESA d’Angers par le ministère de l’Agriculture et Chambre d’agriculture France dans le cadre du projet Agrinovo. Présentés le 20 mars dernier dans les locaux de l’école angevine, les résultats cumulés de près de 3500 répondants ont permis d’identifier cinq profils de nouveaux installés à partir de leur parcours, de leurs appartenances au monde agricole ou encore de leur origine sociale. Fini donc le clivage entre issu du monde agricole ou non issu du monde agricole (Nima). Les résultats d’Agrinovo mettent en évidence une répartition plus subtile des nouveaux agriculteurs.

Les classes populaires rurales au secours de l’agriculture

L’une des surprises de l’étude Agrinovo, c’est la présence massive de nouveaux installés dont les parents ne sont pas agriculteurs, mais font partie des classes populaires rurales, majoritairement ouvriers ou employés. Ces agriculteurs représentent 16 % des installations en 2018 et 2022. En devenant exploitant agricole, ces profils vivent une certaine forme « d’ascension sociale ». Leur parcours montre une vraie vocation pour le métier puisqu’ils ont réalisé des études agricoles. Pour Caroline Mazaud, enseignante-chercheuse à l’ESA, ces nouveaux installés ont vécu une « socialisation par la proximité géographique des zones rurales » avec l’écosystème agricole. Il faut entendre par là qu’ils en connaissent les codes et les réseaux avant de s’installer. « Accompagnons ces profils qui souhaitent maintenir une dynamique agricole », s’enthousiasme Romain Fontaine, responsable du service Hommes et Entreprises chez Chambre d’Agriculture France. Si ces nouveaux agriculteurs ont déjà la connaissance du milieu et le savoir-faire du métier, ils leur manquent les ressources financières. « Comment les accompagner ? », interroge-t-il.

Des fils et filles d’agriculteurs aux parcours surprenants

Si Agrinovo a permis de quantifier 55 % de nouveaux installés en 2018 et 2022 ayant au moins un parent agricole, certains ont des parcours atypiques. En effet, seuls 34 % des agriculteurs installés durant ces deux années ont suivi un parcours « classique », nommé dans l’étude les « héritiers bien préparés ». Il faut entendre par là qu’ils sont fils et filles d’agriculteurs, qu’ils ont suivi des études agricoles, ont réalisé leur première expérience dans le milieu et se sont installés avant 30 ans.

Face à eux, les auteurs de l’étude ont identifié une catégorie plus surprenante qu’ils ont nommée « Héritiers sans vocation ». Représentant 22 % des nouveaux installés, ce profil correspond aux fils et filles d’agriculteurs qui n’ont pas suivi de formation agricole, ont très peu d’expérience dans le métier et reviennent sur l’exploitation sur le tard. 40 % d’entre eux ont plus de 40 ans. Ces nouveaux installés comptent également plus de femmes que d'hommes. Ce qui est l’inverse des parcours plus classiques où 80 % des effectifs sont masculins.

Les néo-ruraux bien présents

Moins surprenant, car identifiés depuis plusieurs années, les reconvertis des classes sociales moyennes sont bien présents parmi les nouveaux installés. Ils représentent 20 % des installés en 2018 et 2022. Le terme néo-ruraux qui leur est souvent associé est partout quelque peu galvaudé. En effet, seuls 40 % d’entre eux viennent d’un milieu urbain. Leur réel trait commun est l’absence de famille dans le monde agricole et une expérience professionnelle ayant généralement cumulé deux métiers sans lien avec le monde agricole avant de s’installer. Certains détails du parcours d’acquisition de l’outil de production peuvent s’avérer surprenants. Agrinovo révèle ainsi que 20 % de ces nouveaux installés ont eu accès à des surfaces agricoles via des agences immobilières. « C’est un public avec lequel nous avons appris à travailler depuis plusieurs années pour les faire monter en compétence sur le réseau agricole, l’accès aux ressources financières ou encore la technique », résume Romain Fontaine.

Une perception du métier différente

Selon leur parcours et leurs origines sociales, les nouveaux exploitants vivent le métier différemment. La sémantique de dénomination du métier illustre bien ses différences. Les fils et filles d’agriculteurs ayant suivi un parcours classique se disent majoritairement « chef d’entreprise », alors que les Nima, quelles que soient leurs origines sociales, sont plus nombreux à s’octroyer le terme de « paysan ». Côté production, sans surprise, les reconvertis s’installent plus facilement en maraîchage et horticulture et choisissent très majoritairement l’agriculture biologique. Les héritiers bien préparés sont, eux, les principales sources de renouvellement en élevage bovin. Une activité qui « nécessite un rapport particulier au travail », selon Antoine Daim, l’un des auteurs de l’étude.

Le retour à la terre des classes supérieures

Un dernier profil, le moins important puisqu’il ne représente que 8 % des nouveaux installés, a été identifié par Agrinovo. Il s’agit de profils issus des classes supérieures qui se reconvertissent à l’agriculture. Ils sont autant issus de familles agricoles que non agricoles et vivent majoritairement en milieu urbain. Le modèle économique de ces exploitations interroge alors que les fermes génèrent très peu de revenu, laissant penser que le nouvel installé a pu garder une activité professionnelle en parallèle. Lors de la présentation des résultats d’Agrinovo, plusieurs voix dans la salle s’interrogeaient : qui réalise réellement les travaux agricoles dans ces structures ?