Ilyes, 16 ans, apprenti : « C’est trop la classe, l’agriculture »

Issu d’un un milieu défavorisé et citadin, balloté de famille d’accueil en famille relais, Ilyes a trouvé un point d’ancrage dans l’agriculture au sein d’un Gaec laitier dans la plaine des Vosges. Il se destine au métier de chauffeur d’engin moyennant encore pour quelque temps l'usage d'un GPS, moins pour éviter la sortie de champ... que la sortie de route.

« J’ai découvert plein de trucs, j’avais ma petite idée en tête mais je savais que c’était un métier où tous les jours ça serait pas pareil. Pour moi le métier de paysan, c’est le cul dans le tracteur et je fais mon boulot quoi. Mais non, c’est dur comme métier » : tel est le ressenti d’Ilyes un an après son immersion dans le monde agricole.

Après quelques allers-retours, Florent Claudon lâchera la bride à son apprenti
Après quelques allers-retours, Florent Claudon lâchera la bride à son apprenti

Le jeune adolescent de 16 ans vient d’achever sa première année en BPA au CFA de Mirecourt (Vosges). Il est en contrat d’apprentissage au Gaec de Juan à Moncel-sur-Vair (Vosges) qui élève 60 vaches laitières sur une SAU de 240 ha.

"Nous on a eu la chance que nos parents soient là. Et puis je ne voulais pas qu’il aille dans une grosse boutique où il aurait travaillé sans comprendre pourquoi"

Entre une mère handicapée et un père absent, Ilyes a connu une enfance difficile à Nancy (Meurthe-et-Moselle) où il est né. Balloté de famille d’accueil en famille relais à partir de 8 ans, le hasard l’a fait atterrir, dans tous les sens du terme, dans ce Gaec laitier de la plaine des Vosges. « Le paradoxe, c’est que l’on n’est pas trop stagiaires, déclare Florent Claudon, l’un des trois associés du Gaec. Mais nous, on a eu la chance que nos parents soient là, ce qui n’est pas le cas d’Ilyes. Et puis je ne voulais pas qu’il aille dans une grosse boutique où il aurait travaillé sans comprendre pourquoi ».

"J’adore caresser les vaches mais c’est beaucoup de travail les animaux. Si j’ai pas le choix je vais peut-être chiotter un peu mais je vais faire le travail quand même"

Le culot, la tchatche et le sourire éclatant d’Ilyes ont fait le reste. Pour autant, l’apprenti ne lambine pas sur la « la ferme ». Il faut l’entendre dire « la ferme », avec un phrasé tout en béatitude.

Marche arrière avec outil remorqué, manœuvre qu’Ilyes maîtrise désormais parfaitement
Marche arrière avec outil remorqué, manœuvre qu’Ilyes maîtrise désormais parfaitement

Au départ, il se pense attiré par les animaux. « J’adore caresser les vaches mais c’est beaucoup de travail les animaux. Si j’ai pas le choix je vais peut-être chiotter un peu mais je vais faire le travail quand même ». « De temps en temps, il préfère regarder la pelle et le balais », lâche l’éleveur. Ilyes acquiesce. « Mais c’est pas deux heures de pause toutes les dix minutes non plus », corrige-t-il.

Ilyes s’imagine chauffeur d’engins dans les années à venir, dans l’agriculture sinon dans le BTP, puisque que « tout ce qui est gros, c’est la classe ».
Ilyes s’imagine chauffeur d’engins dans les années à venir, dans l’agriculture sinon dans le BTP, puisque que « tout ce qui est gros, c’est la classe ».

Le franc-parler des deux parties en dit long sur la connivence qui s’est installée. Petit-fils d’agriculteur, Florent Claudon est conscient que lui a grandi dans un univers où c’était « boulot, boulot, boulot ». Un léger doute s’installe en lui à l’évocation de ses propres enfants, âgés de moins de dix ans, comme quoi l’effet générationnel, et pas seulement social, est peut-être aussi à l’œuvre dans le rapport au travail.

"Je me fais vanner de temps en temps par mes amis mais, j’aimerais bien les voir dans le métier de paysan, ils changeraient vite d’avis"

A sa décharge, Ilyes est aussi sollicité par ses amis qui eux profitent des vacances en plein mois d'août. Que pensent-ils d’ailleurs de son orientation ? « Les amis ? Ils te voient comme le jeune qui a seulement 16 ans, qui conduit les tracteurs et qui n’a pas peur des grosses bêtes imposantes. Je me la pête un peu. C’est trop la classe, l’agriculture », s’enorgueillit le jeune homme. Bien sûr, je me fais aussi vanner de temps en temps, mais j’aimerais bien les voir dans le métier de paysan, ils changeraient vite d’avis ». Une sortie qui contraste là encore avec le vécu de Guillaume, l'un des trois associés du Gaec. « Quand on nous demandait ce que faisaient nos parents, on avait du mal à sortir qu’ils étaient paysans. On le disait tout doucement ».

"Pour les filles, ça m’aide beaucoup l’agriculture, quand je leur montre ce que je fais, je vois des étoiles dans leurs yeux"

Plus que les animaux, le tracteur a bien plus les faveurs d’Ilyes. Et plus précisément le vert au cerf bondissant plutôt que Puma rugissant. Oui mais voilà, pour incorporer le fumier au déchaumeur à disques, c’est le Case IH qui fera le job. Après quelques allers-retours, Florent Claudon lâche la bride à son apprenti. Le GPS fera le reste. Par prudence, le smartphone sera tout de même confisqué le temps du chantier. Tant pis pour les selfies et la « pète » sur les réseaux sociaux et auprès des filles. A ce propos : « Pour les filles, ça m’aide beaucoup l’agriculture, quand je leur montre ce que je fais, je vois des étoiles dans leurs yeux », lâche le jeune homme.

Ilyes au déchaumage avant les semis de colza
Ilyes au déchaumage avant les semis de colza

Du haut de ses 16 ans et vu de son parcours, Ilyes aura lui-même encore besoin pendant quelques années de GPS et autres boussoles, incarnés par ses éducateurs, sa famille d’accueil et ses maîtres d’apprentissage tels Florent et ses associés Guillaume et Christine. « Quand je suis en roue libre, ça ne finit pas toujours très bien », concède le jeune adolescent, tout en lucidité.

Ilyes s’imagine chauffeur d’engins dans les années à venir, dans l’agriculture sinon dans le BTP, puisque que « tout ce qui est gros, c’est la classe ». Mais il a aussi le bac pro dans la ligne de mire de son GPS.