“L’interprofession laitière ne sert plus que les intérêts privés des transformateurs”

Yoann Barbe, nouveau président de la FNPL, était accueilli par la FDSEA et les JA à Leynhac. Le début d’une série d’échanges de la campagne aux élections Chambre d’agriculture.

L’esprit filière, “hormis chez les paysans” qui l’entretiennent, est devenu un concept abstrait pour les trois autres familles de l’interprofession laitière : industriels, coopératives et distributeurs. Vendredi matin au Masviel de Leynhac sur l’exploitation de Jean-Noël Fau, le ton est donné. Nouveau président de la FNPL(1), Yoann Barbe ne retient pas ses flèches. “Si on a réussi dans la loi Egalim à imposer un système différent de construction du prix avec au minimum le coût de production, la barrière d’ajustement de la filière, ça reste les producteurs et les consommateurs !”, lâche le producteur de lait vosgien, invité par la FDSEA et les JA du Cantal à une journée laitière dans le cadre de la campagne aux élections Chambre d’agriculture. “En aucun cas les intermédiaires n’ont baissé leurs marges et la pression reste permanente pour faire baisser le prix du lait soi-disant pour le pouvoir d’achat des consommateurs. Les rapports de force ne se sont pas inversés”, assène le syndicaliste, pour qui il faut redonner du sens à l’interprofession vidée de sa substance tant au niveau national que régional. Redonner du sens et un rôle : aller chercher de la valeur et la répartir équitablement.
Rapport de force toujours à l’avantage de l’aval
Il en va de l’avenir de la production laitière hexagonale, la concentration laitière ne parvenant plus à compenser la perte de producteurs. “Sur nos exploitations, ce sont des morts silencieuses”, des arrêts qui ne font pas la une des médias.
“Si on veut des vaches qui pâturent en plein air le plus longtemps possible comme le demande le consommateur, ça passe par des troupeaux de petite taille, et donc une meilleure rémunération des producteurs. Or, en lait, on est incapable d’avoir une visibilité à trois mois”, pointe Yoann Barbe. Une visibilité dont les voisins allemands sont en train de se doter en évoluant vers des marchés à terme comme les céréaliers. La filière française doit s’en inspirer, martèle le responsable national.
Et si les lois Egalim ont apporté une partie de la solution sur le marché intérieur, pas question pour le patron de la FNPL de laisser à l’aval de la filière les honneurs et les recettes du savoir-faire tricolore à l’export.
Capter la valeur du made in France
“On nous dit que les mesures de rétorsion que vient d’appliquer la Chine, ce n’est pas le problème des producteurs, mais on est concerné ! Chaque fois qu’un kilo de fromage est exporté vers la Chine à prix d’or, ça reste dans la poche des industriels, alors que ce made in France, c’est grâce à nos exploitations !”, affiche Yoann Barbe, qui exhorte la coopération laitière à s’associer à la FNPL pour aller capter cette valeur. Le bras de fer est d’ailleurs engagé entre FNPL et Fnil (industriels laitiers) pour la prise en compte d’un indicateur PGC export (produits de grande consommation) en plus de l’indicateur beurre/poudre dans la composition du prix du lait.
Un plan pour la protéine laitière
Sur la table des discussions également, portée par les représentants des producteurs : la valorisation de la protéine laitière. “La planète manque de protéines, le prix des protéines végétales s’envole et la protéine laitière ne vaudrait rien ?”, interroge le Vosgien, qui a demandé au ministère de l’Agriculture des études sur ce dossier. Pour la FNPL, un énième signe du manque de transparence des transformateurs.
La grande distribution n’est pas en reste, qui, ces derniers temps, sollicite de plus en plus des importations d’emmental râpé, fustige Yoann Barbe, non sans rappeler que des opérations de contrôle de l’origine des produits sont programmées en décembre... Comme leurs collègues éleveurs de bovins viande, les producteurs de lait n’en sont pas moins déjà mobilisés contre l’accord Mercosur : “Pas par solidarité mais parce qu’il y a aussi des risques pour nous avec un effet domino sur le marché de la réforme laitière. On nous dit qu’on bénéficiera aussi des 30 000 tonnes de fromages exportés prévus par
l’accord mais c’est de l’edam et du gouda, des fromages produits par les pays européens du Nord, je comprends pourquoi ils sont favorables au traité...”
Au passage, le porte-parole de la FNSEA tacle la politique de la chaise vide au niveau interprofessionnel des autres syndicats : “En 2018, ils ont voté le Plan de filière qu’ils critiquent aujourd’hui, ils n’ont jamais rien proposé d’autre et ne sont jamais présents. C’est trop facile de n’exister que tous les six ans !” Un même reproche adressé localement à leurs représentants au sein du Cif par Jean-Noël Fau.
Patricia Olivieri
(1) Fédération nationale des producteurs de lait.