La crise sanitaire va-t-elle remettre en question la conquête des vins bio ?

Fermeture du débouché de la restauration hors domicile, coup d’arrêt sur les exportations, diminution des moments de convivialité… à bien des égards, la filière viticole française n’a pas été épargnée par le séisme de la crise sanitaire, lequel fut en plus précédé par l’alourdissement des droits de douane infligé par les Etats-Unis. Alors que ce secteur connaissait une remarquable accélération de la production et de la consommation de vins biologiques, la pandémie va-t-elle venir jouer les trouble-fête ?

L’engouement du vignoble français pour la production biologique

Ces dix dernières années ont vu une forte expansion de l’agriculture biologique en viticulture. La France comptait ainsi en 2019 plus de 8 000 exploitations viticoles engagées en bio, un chiffre qui connait une hausse impressionnante de l’ordre de 20% entre 2018 et 2019 ! La dynamique des passages en viticulture biologique est également soutenue les surfaces en 1ère année de conversion ont cru de 50% entre 2018 et 2019. Un élan qui se traduit logiquement dans les surfaces : près de 10% du vignoble était certifié bio en 2019 (soit 68 000 ha), un pourcentage qui grimpe à 14% si on inclut les surfaces en transition vers la viticulture biologique (112 000 ha), soit un triplement des surfaces au cours des 10 dernières années (Graphique 1). La France se situe ainsi à la 3e place du podium des vignobles conduits en bio, derrière l’Italie (15% des surfaces en vignes certifiées) et l’Espagne (11%). Ceci s’inscrit d’ailleurs dans les ambitions politiques françaises et européennes : la loi issue des Etats généraux de l’alimentation votée en 2018 prévoit une réduction de 50% de l’usage des produits phytosanitaires d’ici 2025, et la stratégie Farm to Fork rendue publique en mai 2020 fixe l’objectif de 25% de surfaces en bio d’ici 2030.

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Les consommateurs au rendez-vous

La croissance continue de la demande en vins biologiques sur le marché français et à l’étranger permet aisément de comprendre la hausse des conversions en bio chez les viticulteurs (Graphique 2). En France, les ventes de vins bio atteignent aujourd’hui 11,6%. Le premier canal de commercialisation des vins bio, en valeur, est indéniablement la vente directe, qui représente 45% des parts de marchés (mais seulement 25% en volumes) devant la grande distribution (24%) et les cavistes (21%

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Cet attrait des consommateurs bénéficie à la production nationale, les vins bio consommés en France étant à 99% hexagonaux (source Agence Bio). Une tendance identique à celle des vins conventionnels. L’intérêt porté par les consommateurs envers la certification biologique détonne face à la baisse continue de la consommation de vins en France. Les Français figurent d’ailleurs parmi les plus gros consommateurs de vins biologiques (2èmes en volume derrière les Allemands) – ce qui est cohérent avec le fait que l’Hexagone occupe la deuxième place des pays consommateurs de vins au monde. Ces éléments sont autant de preuves des mutations à l’œuvre dans les habitudes de consommation de vin : consommation plus modérée en volumes, hausse de la valeur, et un intérêt porté à la certification environnementale des produits. Une étude publiée avant la crise sanitaire prévoyait que le pays deviendrait le premier consommateur mondial de vin bio à partir de 2021.

2020, annus mirabilis pour les vins bio ?

Malgré les restrictions sanitaires, les consommateurs sont demeurés au rendez-vous pendant l’année 2020. Les ventes de vins bio sont restées dynamiques : à la mi-juin, elles étaient en hausse de 7,9% en volume et 9,9% en valeur par rapport à 2019 sur les vins tranquilles (Agence Bio), alors que les ventes de vins conventionnels s’érodaient. Une tendance qui s’est vérifiée de manière générale sur la consommation alimentaire des Français : le premier confinement a fait office d’accélérateur pour les ventes de produits bio. Parmi les facteurs d’explication : une préoccupation en hausse des consommateurs pour les questions environnementales et du rôle de l’alimentation dans la santé, mais aussi les ruptures de stock de produits conventionnels dans certaines catégories et le bon référencement des produits bio dans le e-commerce.

Si la demande est porteuse, il n’en demeure pas moins que les viticulteurs bio vont sans nul doute rester prudents. Les surfaces en bio augmentent pour combler les besoins, mais les incertitudes sont encore nombreuses sur les marchés : la page des restrictions sanitaires n’est toujours pas tournée, et les difficultés économiques qui pourraient s’ensuivre risqueraient de remettre en cause le consentement à payer des consommateurs. Il faut également considérer que la consommation de vin en France n’a cessé de diminuer depuis plus de vingt ans, et que par voie de conséquence, l’embellie du vin bio pourrait être précaire. On ne peut toutefois écarter l’hypothèse que le processus de transition massif vers les produits issus de l’agriculture biologique soit pour ainsi dire porté par le secteur viticole, jouant de ce fait un rôle décisif dans l’avènement de cette pratique productive. Cela restera à vérifier quantitativement, tout en comparant cette tendance à celle à l’œuvre dans d’autres domaines, par exemple les fruits et légumes.

Marine Raffray - APCA