La fraise française conquérante mais sous la menace de l’inflation

Bien qu'elle reste déficitaire, la production française de fraise gagne des parts de marché en jouant sur la différenciation qualitative et gustative. Un positionnement haut de gamme qui pourrait néanmoins être contrarié par l'envolée des prix à la consommation.

« Au cours des dernières années, si la France a pu tirer son épingle du jeu, c’est le résultat d’une stratégie entamée il y a 20 ans, et qui a consisté à miser sur des variétés différenciantes telles que la gariguette, la charlotte ou encore la mara des bois », déclare Xavier Mas, président de l’AOPn Fraise de France. Les variétés françaises disposent ainsi d’une cotation spécifique, qui leur permet de ne pas être frontalement concurrencées par les fraises d’importation, principalement espagnoles. De 30 000 tonnes il y a une vingtaine d’années, la production actuelle s’établit aujourd’hui à 50 000 tonnes. Elle reste encore largement en-deçà de la consommation (120 000 t/an) mais elle grignote des parts de marché, ce qui est plutôt remarquable quand on sait que la main d’œuvre représente en moyenne 50% des coûts de production et que la France a toutes les peines du monde à lutter sur ce terrain-là, face à ses compétiteurs.

Lutte biologique intégrée et HVE

L’écart de productivité est l’autre facteur explicatif du différentiel de prix à l’étal. « En règle générale, une fraise qui a du goût est à la fois plus fragile et moins productive, avec un écart pouvant atteindre 40% par rapport aux variétés californiennes cultivées en Espagne, explique Xavier Mas. C’est pour cette raison que la production française est presque exclusivement dédiée au marché intérieur, mais avec une obligation de valorisation supérieure ».

Les fraisiculteurs doivent aussi composer avec des distorsions de concurrence en matière de produits phytosanitaires, dont les néonicotinoïdes. En réaction, l’AOPn Fraise de France s’est lancée il y a quelques années dans un programme de recherche et développement axé sur la mise au point de parasitoïdes des pucerons des fraisiers. « Des sociétés proposaient des parasitoïdes mais ils n’étaient pas spécifiques des pucerons des fraisiers, ce qui contrecarrait nos objectifs de lutte biologique intégrée, déclare Xavier Mas. Les adhérents de l’AOPn ont accepté de financer, sur leurs cotisations, un programme de recherche étalé sur six dont on espère qu’il aboutira à la production de parasitoïdes spécifiques ».

Si la filière mise sur la qualité gustative, elle travaille aussi sa sobriété phytosanitaire rendue complexe par la diversité et l’adversité des maladies et ravageurs, et qui explique en bonne partie la faiblesse de l’offre bio, incompatible en prime avec la culture hors-sol en jardins suspendus.

L’AOPn a fait aussi de la HVE un cheval de bataille et escompte certifier plus de 80% de la production dès 2024.

Le risque inflationniste

En ce printemps 2022, ce n’est pourtant pas le risque parasitaire ou climatique qui pèse sur la production française de fraise mais un facteur totalement exogène : l’inflation des prix à la consommation qui met à mal le pouvoir d’achat et qui pourrait détourner les consommateurs d’une fraise tricolore plus chère. « C’est clairement une menace à l’heure où nous avons encore beaucoup de volumes à passer au mois de juin puis durant l’été, déclare Xavier Mas. Et très clairement, nous n’avons pas d’alternative à notre stratégie qualitative. C’est ça ou renoncer à la fraise ».