« Les brebis dans le verger, le 3ème coming out de ma carrière »

A Eus (Pyrénées-Orientales), Michel Planas, ex-coopérateur en conventionnel, s’est converti à la bio et à la vente directe dans les années 2000. A 63 ans, il s’essaie au pré-verger en pâturage permanent, en collaboration avec deux éleveurs ovins. Une initiative récompensée au Concours général agricole 2021 des pratiques agroécologiques.

« Avec la bio, au départ, je me suis fait violence parce que j’avais alors une conception très cosmétique de mon verger. Tout devait être parfait du sol au plafond. Et là d’un coup, tous les voyants sont passés au rouge, au plans technique et économique. Au bout d’une année, j’ai abandonné ». C’était en 1996. A l’époque, l’arboriculteur s’essaie sur à peine plus d'un hectare de pommiers, sur un verger totalisant alors 15 hectares, tout en pêchers pour le reste. Dans cette zone arboricole de la vallée de la Têt, la tentation du bio détonne à l’époque. Elle détonne d’autant plus que Michel Planas est alors président d’une coopérative fruitière, sise à Prades (Pyrénées-Orientales), sous-préfecture administrée il y a encore moins d’un an par un certain Jean Castex. « J’étais perçu comme un extra-terrestre, mes collègues, les commerciaux étaient un peu moqueurs. Je regrette de ne pas avoir persévéré parce que j’ai perdu dix ans ».

En adaptant et la race et la conduite, les brebis devraient pouvoir pâturer toute l’année dans les vergers de pommiers (Crédit photo : M. Planas)
En adaptant et la race et la conduite, les brebis devraient pouvoir pâturer toute l’année dans les vergers de pommiers (Crédit photo : M. Planas)

Diversification des espèces et des réseaux de vente

Dix ans plus tard en effet, l’arboriculteur récidive. Cette fois, tout le verger y passe, et définitivement. « J’étais mal à l’aise avec le fait de vanter des pratiques respectueuses de l’environnement alors que l’on consommait pas mal de produits phytosanitaires ». L’expérience s'avère concluante. L’arboriculteur en profite pour diversifier la production. La pêche et la nectarine font de plus en plus de place aux abricotiers, aux pommiers, aux poiriers et bientôt aux figuiers, ainsi qu’au raisin de table. Il faut dire que la mue technique s’est accompagnée d’une volte-face au plan commercial, Michel Planas ayant décidé de s’approprier la commercialisation, en vente directe, auprès de magasins spécialisés bio des Pyrénées-Orientales et de l’Aude et auprès de quelques grossistes.

"Je fais confiance à Jean [Castex] pour s'occuper activement des dossiers calamité gel"

Il transforme une partie de sa production en jus de fruits, en cidre et en confitures, ce qui lui permet d’accroître la valeur ajoutée, de valoriser des fruits de deuxième choix, de diversifier ses étals et de lisser davantage sa trésorerie. L’arboriculteur se fait aussi maraicher, un peu plus cette année, pour compenser les effets du gels, très marqués dans la Vallée. « Je fais confiance à Jean [Castex] pour s'occuper activement des dossiers calamité gel », souffle-t-il.

Pour compenser les pertes dues au gel, Michel Planas va étoffer sa production de légumes de plein champ
Pour compenser les pertes dues au gel, Michel Planas va étoffer sa production de légumes de plein champ

Pâturage hivernal...

Au plan technique, le défi est relevé. « Quand on est paysan, il faut être très observateur mais en bio, il faut l’être deux fois plus pour ne pas risquer des pertes de rendements, explique Michel Planas. Moi, si j’ai choisi le bio, c’est certes pour me passer des produits de synthèse, mais c’est aussi pour en vivre, pas pour le fun. Pour ce qui est de la protection des feuilles et des fruits, toutes espèces confondues, ça se passe bien. Mais au fil des ans, l’entretien du sol m’est apparu de plus en plus contraignant. Et puis chaque passage et chaque hectare, c’est 4000 percussions de machine sur les arbres, le tout multiplié par six ou sept. Je me suis alors rapproché de deux bergers pour tester le pâturage ».

C’était en 2013. Au départ, l’arboriculteur se cantonne à un pâturage hivernal, hors période végétative, donc sans risque pour les arbres. Mais c’est bien entendu au printemps et en été que la pousse est la plus active, stimulée par l’irrigation.

Le verger de pommiers tige haute, inaccessible aux brebis mais pas épargné par les sangliers
Le verger de pommiers tige haute, inaccessible aux brebis mais pas épargné par les sangliers

... puis quatre saisons

Il décide alors d’expérimenter le pâturage permanent, dans une  petite parcelle d’un demi hectare de pommiers, plantée pour l’occasion, en remplacement de pêchers. C’est ce projet, piloté par le Parc naturel régional Pyrénées Catalanes, qui a valu aux Vergers des deux vallées le 1er Prix régional (Occitanie) et le 2ème Prix national au Concours général agricole 2021 des pratiques agroécologiques.

« Du point de vue de l’entretien du sol, l’expérience est concluante, déclare Michel Planas. En fait, j’ai davantage de soucis avec les sangliers. Pour préserver les arbres des brebis, j’ai adopté une conduite haute tige, en choisissant un porte-greffe vigoureux apte à alimenter un linéaire de branches fruitières de dix mètres. Du point de vue de la production, l’essai n’est pas totalement concluant car mon écartement de cinq mètres, emprunté aux ex-pêchers est trop important. Le porte-greffe est peut-être un peu léger pour supporter, sans l’aide du palissage, une telle conduite ».

La production de cidre, à partir de variétés de table anciennes, permet de valoriser la production, tout en ménageant de la souplesse entre les deux débouchés
La production de cidre, à partir de variétés de table anciennes, permet de valoriser la production, tout en ménageant de la souplesse entre les deux débouchés

Des haies fruitières adaptées

Le décalage d’entrée en production du verger haute tige est aussi un autre facteur limitant. Tous comptes faits, une autre idée est venue tout dernièrement à l’esprit du producteur, conciliant économie et agroécologie. « J’ai arraché récemment six hectares de pêchers, explique-t-il. Je comptais y planter des noyers et des châtaigniers. Mais à mon âge, je risque de ne pas en voir les fruits. Je vais donc planter des pommiers, en haie fruitière classique, mais en relevant le premier de niveau de végétation de 30 à 40 cm, pour la porter à 1,40 m, une hauteur inaccessible aux brebis de race charmoise. J’y implanterai des variétés anciennes à partir de mon verger collection. Les brebis en assureront l’entretien et la fertilisation. Je vais ainsi accroître ma production de cidre, dont je peine à satisfaire la demande, en diversifiant la gamme. Je vais l’estampiller « cidre d’abbaye », la parcelle en question appartenant à la communauté religieuse de l’Abbaye de Saint-Michel de Cuxa ». La conversion s’arrêtera là.