Moisson de blé 2023 : un volume préservé malgré des retards et des exportations embouteillées

Alors que la moisson de blé en France s'annonce « satisfaisante en quantité », les professionnels appréhendent une « saturation » des capacités de stockage alors que les silos se remplissent plus vite qu'ils ne se vident, du fait d'exportations en berne.

La production française de blé tendre, la céréale du pain, devrait atteindre 35,6 millions de tonnes, en hausse de 3,5% par rapport à la moyenne des cinq dernières années, selon les prévisions du service statistique du ministère de l'Agriculture. Le record remonte à 2015, avec plus de 40 millions de tonnes. La qualité de la récolte est « pour l'essentiel aux niveaux attendus par les marchés », ont rapporté la semaine dernière l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et les instituts techniques des grandes cultures (céréales et oléagineux), Arvalis et Terres Inovia.

Les récoltes d'orges (estimées à 9,4 millions de tonnes pour l'orge d'hiver et 2,7 millions pour celle de printemps) « satisfont aux exigences de qualité brassicole » (la confection de la bière), pour la plupart, selon les trois organismes.

Interrogations sur la qualité

Une partie de la moisson de blé tendre a toutefois été « contrariée par les pluies estivales », ont-ils noté. La qualité des récoltes dans les régions côtières de la Manche doit ainsi faire l'objet selon eux d'« une attention particulière ». Le risque est d'avoir des grains trop humides, pas assez chargés en protéines pour faire du pain. Le blé est alors déclassé pour nourrir les animaux plutôt que les humains.

Au 7 août, la récolte était achevée à 89% sur l'ensemble de la France (contre 94% en moyenne de 2018 à 2022) mais seulement à 66% en Normandie (contre 85% sur cette moyenne). En Bretagne, la moitié du blé (51%) était récoltée, contre 84% habituellement à la même époque. Responsable exportations de céréales de Sénalia, le premier agro-logisticien du port de Rouen, Alain Charvillat fait le constat d’« une campagne avec deux récoltes », l'une avant les pluies et l'autre n'ayant véritablement débuté que la semaine dernière.

Premier port céréalier d'Europe de l'Ouest, Rouen voit passer 50% des exportations françaises et un cinquième des exportations européennes, avec une moyenne de cinq millions de tonnes par an.

Les grains récoltés après les pluies seront « entre 50% et 70% en qualité fourragère », c'est-à-dire bons pour l'alimentation animale, avec « des rendements très altérés »,  selon M. Charvillat. Ce marché de l'alimentation du bétail risque d'être saturé, l'ensemble du nord de l'Europe ayant connu des précipitations affectant potentiellement la qualité des grains.

 « Saturation logistique »?

Dans l'ensemble, le début de la campagne d'exportation 2023-2024 est marqué par un recul des expéditions européennes face notamment au blé russe, meilleur marché et « très présent » y compris au Maghreb dont la France est habituellement le principal fournisseur, constate Damien Vercambre d'Inter-Courtage. « Quand pourra-t-on vendre? » s'interroge M. Vercambre, alors « qu'on sait pertinemment que nos blés ne sont pas compétitifs » par rapport aux blés russes.
En attendant, les nouvelles récoltes s'ajoutent aux précédentes. Des agriculteurs aux logisticiens portuaires en passant par les coopératives, « aucune structure n'a les moyens de stocker l'ensemble des collectes », estime Pierre Delamare, représentant de la coopérative Noriap, qui rassemble des agriculteurs du Havre à Dunkerque. Au point que, selon M. Charvilliat, « une saturation logistique fin août, début septembre » est « possible » au vu des modestes prévisions à l'export.