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Morgan, équilibriste de l’herbe

Eleveuse de moutons en Maine et Loire, Morgan Lescoët a adopté un système d’élevage peu commun en zone de plaine : l’écopastoralisme. Son troupeau est itinérant et se nourrit essentiellement d’herbe qui serait destinée à être détruite, couverts hivernaux, friches, herbe dans les vignes…

Savennières, ses châteaux, son vin blanc réputé et… sa bergère. Cela fait 5 ans que Morgan Lescoët fait paître ses moutons sur les terres de cette commune et de quelques-unes de ses voisines : Champtocé sur Loire, Challonnes sur Loire…

Toujours dans ce territoire des bords de Loire, 15 km à l’ouest d’Angers, très souvent à pied, mais jamais au même endroit : Morgan est une éleveuse itinérante, une écopastoraliste, une bergère de plaine. Si ce métier est encore méconnu, il est pourtant très ancien : « Autrefois, on pratiquait le pastoralisme en montagne comme en plaine. Par exemple, avant d’être une région céréalière, la Beauce était une plaine d’élevage de moutons, raconte-t-elle. D’ailleurs, les chiens que j’ai choisis pour accompagner mon activité d’écopastoralisme sont des « beaucerons » ».

Accompagnée de ses bergers de Beauce, sur des terres angevines, la jeune femme élève des moutons… de Bretagne. Elle a en effet choisi la race Landes de Bretagne, une race en conservation, pour sa rusticité, car elle mange de tout, agnèle seule et occasionne peu de frais vétérinaires, pour sa bonne adaptation au terroir, son caractère calme, et peut-être, aussi, en souvenir de ses racines familiales morbihannaises.

Des agneaux en vente directe

«  Le mouton Landes de Bretagne convient très bien au système d’écopastoralisme. Les agneaux sont engraissés lentement, uniquement à l’herbe, et je peux les vendre entre 6 et 15 mois, ce qui m’apporte de la souplesse, je peux ainsi faire des lots à envoyer à l’abattoir de Craon. En outre, comme ce sont des animaux peu gras, ils n’ont pas un goût de mouton prononcé, ce qui plait à mes clients ».

Aujourd’hui, Morgan est à la tête d’un troupeau de 260 moutons (120 brebis, les béliers et leur suite), labellisés bio. La vente directe de ses agneaux constitue la majeure partie de son revenu. L’autre partie, ce sont des prestations qu’elle réalise pour d’autres agriculteurs : ses moutons mangent en effet de l’herbe qui, autrement, serait tondue, enfouie ou broyée.

L’écopastoralisme consiste à conduire les moutons sur des parcelles qui ont besoin d’être désherbées. En Anjou, en automne-hiver, il se pratique surtout dans les vignes. (photo Catherine Perrot)

Parcours pastoral

En automne-hiver, ses moutons sont dans des parcelles de vignes bio, où ils consomment les adventices qui poussent entre les rangs et entre les ceps : ils sont les tondeuses les plus efficaces, les plus souples, les plus écologiques et les moins nuisibles pour le sol, même humide. Au contraire, ils agrémentent leur passage de quelques restitutions azotées et tiennent même compagnie aux tailleurs de vignes.

« En général, on rentre dans les vignes à la chute des premières feuilles, et on y passe environ 5 mois. Je divise mon troupeau en quatre lots et j’essaye de dimensionner les parcs pour que les animaux aient de quoi manger pendant 3 à 5 jours. Ensuite, on déplace les filets et on change de parcelle. Au total, mes moutons mangent ainsi environ 50 hectares de vignes en hiver. Pour le vigneron, cela représente l’économie d’un à deux passages d’outils ».

A la fin de l’hiver, il est temps pour les moutons de transhumer vers une autre source de nourriture : le pâturage des couverts végétaux qui doivent être détruits avant l’implantation d’une culture de printemps. Une fois ces couverts pâturés, l’alimentation du troupeau est un peu plus difficile à trouver : « Cela devient un travail d’équilibriste », résume Morgan.

Trouver du vert en été

« Grâce aux vignerons, je trouve parfois des anciennes parcelles viticoles délaissées. L’an dernier, j’ai eu la chance de pouvoir pâturer sur des parcelles qui n’avaient pas pu être semées en maïs. A mon installation, je comptais sur les berges de Loire, mais je n’ai accès qu’à 4 hectares ».

Cette année, Morgan devrait démarrer un partenariat avec un éleveur de chevaux de course, qui a besoin de réduire la hauteur de l’herbe avant de pouvoir sortir ses animaux. « Cela devrait me faciliter la vie, d’autant plus que cet éleveur a de l’eau dans plusieurs de ses parcelles ». En été, les visites quotidiennes de Morgan à ses troupeaux sont en effet plus pénibles, car elle doit leur apporter de l’eau.

En cette saison, Morgan compte aussi sur les repousses d’herbe, que les agriculteurs lui laissent pâturer après fauchage. « J’ai la chance d’être adhérente du Civam 49, et d’avoir, grâce à cela, accès à un réseau d’agriculteurs. Et heureusement, en dernier recours, je dispose de 20 hectares en propriété, qui constitue mon assurance alimentation pour la fin de l’été ».

« L’idéal ce serait de pouvoir pâturer dans les forêts en été : cela se pratique dans d’autres régions dans le cadre de la prévention des incendies », explique Morgan. Pour l’instant, les gestionnaires locaux des forêts n’autorisent pas cette pratique, qui permettrait d’assurer le bien-être des animaux en leur offrant un espace ombragé.

Le mouton Landes de Bretagne mange de tout. « Il faut néanmoins que les animaux les plus âgés assurent l’éducation alimentaire des jeunes ». (photo Catherine Perrot)

Un groupe d’éleveurs en écopastoralisme et peut-être plus

Ce « stress » de trouver du vert en été pour ses moutons, Morgan Lescoët n’est pas la seule à le vivre en Maine-et-Loire : aujourd’hui, déjà une demi-douzaine d’éleveurs sont installés en écopastoralisme ou en cours d’installation. « C’est un modèle qui ne nécessite pas de gros investissements et qui attire notamment des gens en reconversion », décrit Morgan, qui sait de quoi elle parle puisque c’est son cas : elle a été traductrice et prof d’anglais avant de se reconvertir en agriculture.

Tous ces éleveurs en écopastoralisme du Maine et Loire se retrouvent au sein d’un groupe dédié, constitué au Civam 49. Ils y partagent leurs références et leurs expériences et se concertent entre eux pour pratiquer le même tarif (par exemple,150 euros l’hectare de vignes tondu par les moutons) et pour ne pas se concurrencer entre eux pour les parcelles.

« Nous avons chacun notre secteur et nous aurions encore la place d’accueillir d’autres éleveurs », assure Morgan, qui, d’ailleurs, ne serait pas contre un ou une associée, pour pouvoir la soulager de ses astreintes quotidiennes.