Négociations commerciales tendues pour l'agroalimentaire

Des demandes "indécentes" : l'industrie agroalimentaire française assure être prise en étau, face aux exigences de prix de la grande distribution qui compliquent sérieusement les négociations commerciales annuelles, après une année de crise sanitaire marquée par la flambée des cours des matières premières.

"Ce qui est véritablement inquiétant, c'est que les demandes qu'on a de la part de la grande distribution demeurent extrêmement négatives et ne bougent pas", s'alarme un industriel de l'agroalimentaire qui a requis l'anonymat. "On est dans des demandes qui sont entre -4 et -2,5%", rapporte-t-il, après avoir dû faire face, avec ses fournisseurs, à une "inflation très forte des prix agricoles".

"Sur le blé, c'est +20%, sur l'huile c'est +27%, c'est entre 10 et 20% sur les fruits et donc les industriels ont impérativement besoin de passer des hausses de tarifs et aujourd'hui, malheureusement c'est encore des pressions, des menaces de déréférencement", rapporte de son côté Catherine Chapalain, directrice générale de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania).

Elle souligne que l'ensemble des acteurs de l'alimentation se sont serré les coudes pour faire tenir la chaîne alimentaire au début de la crise sanitaire, lorsque les premières restrictions destinées à endiguer l'épidémie ont mis à mal la logistique. Elle déplore que "cette solidarité, malheureusement, ne se traduit pas dans les négociations 2021", marquées par des "demandes de prix indécentes", malgré la loi Alimentation censée encadrer tout cela.

La grande distribution affirme pour sa part, avoir avant tout des difficultés à conclure avec les "gros" du secteur. Avec des demandes de hausse de prix "de l'ordre de 3 à 4% en moyenne", "on observe des demandes totalement injustifiées et déraisonnables de la part de certaines grandes entreprises, notamment celles qui utilisent très peu de matières premières agricoles", affirme auprès de l'AFP Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). A l'inverse, selon lui, "les demandes du côté des PME étaient plutôt raisonnables, ce qui explique que les négociations se soient bien passées".

L'"embellie" de la distribution

Un constat partagé par Carrefour, qui a affirmé le 27 janvier que "plus de 95% des contrats avec ses fournisseurs locaux et régionaux ont été signés, soit un mois avant la date butoir de la fin des négociations commerciales". Mais dans ce tableau, M. Creyssel reconnaît tout de même la problématique posée par la hausse des matières premières dans "un certain nombre de dossiers qui restent complexes". Il cite en particulier "la volaille, les oeufs", des secteurs pour lesquels "les discussions sont toujours en cours".

Le groupe volailler LDC demandait dès fin novembre des revalorisations de 6% pour faire face au renchérissement mondial des céréales et donc des coûts de production des volailles. "Seule une partie des hausses demandées a été obtenue, mais à ce stade elles restent insuffisantes", a-t-il regretté début janvier. Une revalorisation "urgente" du prix des oeufs est aussi exigée par les professionnels : le syndicat des industriels des oeufs Snipo estimait en décembre que la flambée des céréales entraînait "une augmentation du coût de production de 0,5 à 0,7 centime par oeuf".

"Ce n'est pas aux agriculteurs de raboter leurs salaires pour soutenir le pouvoir d'achat des consommateurs."

Très remontée, la présidente de la FNSEA Christiane Lambert a prévenu qu'elle ferait remonter les difficultés rencontrées par les industriels lors d'un comité de suivi des négociations commerciales le 29 janvier. Elle souligne l'"embellie" de chiffre d'affaires dont ont bénéficié les distributeurs en raison de la fermeture des restaurants, au sortir d'un entretien avec le Premier ministre avec lequel elle a partagé son mécontentement. "Ce n'est pas aux agriculteurs de raboter leurs salaires pour soutenir le pouvoir d'achat des consommateurs", a-t-elle conclu.

Très loin de l'esprit de la loi Alimentation, qui prévoit de partir des coûts des producteurs pour fixer les prix, le géant laitier Lactalis a fait savoir dans un communiqué le 29 janvier que pour 2021, "la valorisation du lait s'appuiera notamment sur l'acceptation de hausses de prix par la grande distribution".

A la veille de ce comité, et à un mois de la fin des négociations, on assurait, au ministère de l'Agriculture, ne pas exclure le recours au "name and shame" (pointer du doigt publiquement) pour les mauvais élèves, dans des négociations "très hétérogènes". "Si d'ici 15 jours les choses ne s'améliorent pas, ce sera la marche suivante", a-t-on indiqué au ministère qui a, dans un premier temps, demandé aux services de la répression des fraudes d'intensifier leurs contrôles.