« Nous sommes encore aux balbutiements des recherches sur la biodiversité »

Agriculture et biodiversité sont en interactions perpétuelles, souvent de manière positive (pollinisation des cultures, fertilité des sols, régulation des ravageurs...). Habitués à travailler avec le vivant, les agriculteurs sont des acteurs centraux dans la préservation et la restauration de cette biodiversité. Mais pour agir plus efficacement, ils ont besoin de repères et de références. Arvalis-Institut du végétal s'attache à en produire.

La biodiversité, les agriculteurs n'ont pas fini d'en entendre parler ! Sujet majeur de société, elle est au cœur du « Green deal », priorité de l'Europe pour les années à venir, et dans sa déclinaison agricole, la Politique agricole commune. La biodiversité s'affiche aussi dans les ambitions du Plan stratégique national présenté le 21 mai dernier par le ministre de l'Agriculture.

Préserver la biodiversité, mais aussi profiter de ses effets positifs sur la fertilité des sols, la pollinisation des cultures, la régulation des ravageurs, constitue le fondement de l'agroécologie, et de nombreux cahiers des charges s'en réclamant, publics (HVE) ou privés (Charte Lu'Harmony).

Des liens qui ne datent pas d'hier

Travailleurs du vivant, les agriculteurs savent depuis toujours que la biodiversité est indispensable à leur activité. Beaucoup d'entre eux n'ont pas attendu des « injonctions sociétales » ou des primes environnementales pour préserver des haies, diversifier ou allonger leurs rotations et veiller à l'activité biologique de leurs sols.

"Il manque toujours des références et des connaissances scientifiques"

Toutefois, pour répondre à ces demandes sociétales, il leur faut à présent prouver, qualifier et quantifier leurs actions en lien avec la biodiversité, qu'il s'agisse de la préserver, d'en bénéficier, ou de la restaurer. Pour pouvoir agir en ce sens, tout en assurant leur fonction nourricière, les agriculteurs ont besoin d'indicateurs, de repères. « Face à l'ampleur de ce sujet, il manque toujours des références et des connaissances scientifiques », explique Stéphane Jézéquel, le directeur scientifique d'Arvalis-Institut du végétal.

Valider et expliquer

« Produire des références et des connaissances sur les liens entre activité agricole et biodiversité » est une des missions dont s'est saisie depuis quelques années l’institut technique. « Il ne s'agit pas seulement de valider l'intérêt des couverts végétaux et des éléments pérennes du paysage, mais de déterminer, par exemple, quelles espèces dans les bandes fleuries, quelles longueurs de haies, quelles pratiques culturales sont bénéfiques, sans qu'elles ne pénalisent la production et le revenu des producteurs », poursuit Stéphane Jézéquel.

A l'occasion de la journée internationale de la biodiversité (22 mai), Arvalis-Institut du végétal a souhaité mettre en lumière certains des travaux conduits sur ce thème à la station expérimentale de La Jaillière (La Chapelle-Saint-Sauveur, 44). C'est le cas, par exemple, du projet multipartenarial Arena (Anticiper les Régulations Naturelles), qui s'est tenu sur 2017-2020 : il a permis la mise au point de protocoles d'observation, l'acquisition de références sur les dynamiques des populations de ravageurs (pucerons, limaces) et de leurs ennemis naturels (araignées, chrysopes, parasitoïdes, syrphes, carabes, staphylins...) et la caractérisation des régimes alimentaires des carabes par biologie moléculaire (plus de résultats sur ARENA-Auximore.fr).

La bande fleurie expérimentale à la station Arvalis de La Jaillière (44) a été semée le 24 mars dernier. Son effet sur les populations de ravageurs et d'auxiliaires sera quantifié au niveau de la bande, mais aussi plus ou moins profondément dans les deux parcelles culturales adjacentes. (Photo Catherine Perrot)

Effet de la bande fleurie : jusqu'où dans la culture ?

Dans la lignée de ces études, une nouvelle expérimentation a commencé au printemps dernier à La Jaillière pour objectiver les effets de l'implantation d'une bande fleurie. Semée le 24 mars dernier sur 70 m de long entre deux parcelles cultivées (blé et maïs), la bande expérimentale est composée d'un mélange d'espèces à la floraison étalée, conçu pour être favorable aux auxiliaires (mélange Auxil-Couv de Caussade semences, avec lin, sarrasin, fenugrec, aneth, chia, phacélie et nyger).

« L'objectif de cette étude est de déterminer l'effet de cette bande fleurie sur les auxiliaires (carabes, staphylins, araignées, parasitoïdes...), et sur les ravageurs (pucerons, limaces), à la fois sur la bande, mais aussi sur les cultures alentours », décrit Véronique Tosser, ingénieure biodiversité à Arvalis.

Véronique Tosser, ingénieure biodiversité à Arvalis, relève le contenu d'un pot Barber enterré dans la parcelle de maïs, à 10 m du centre de la bande fleurie. (Photo Catherine Perrot)

Pour évaluer l'effet sur les organismes épigés, ravageurs (pucerons et limaces) et auxiliaires (carabes, staphylins, araignées), des pots Barber, enterrés pour affleurer au niveau du sol, et des pièges à limaces, sont disposés dans la bande et au sein des parcelles cultivées (à 10 m et 30 m du centre de la bande fleurie). Leur contenu est relevé toutes les semaines.

Pour les organismes volants, ravageurs (pucerons), ou auxiliaires (coccinelles, syrphes, hyménoptères parasitoïdes), les relevés sont faits par observations visuelles et par aspiration sur quadrats (carrés normés), disposés au sein de la bande fleurie, puis à 10 m et 30 m dans les parcelles cultivées. En outre, pour observer l'effet de la bande fleurie sur les insectes volants à une échelle plus large, une tente Malaise a été dressée sur le point le plus haut et le plus venté de l'exploitation. Tous les arthropodes recueillis sont comptabilisés, puis envoyés à un entomologiste pour identification formelle.

La tente Malaise est un dispositif destiné à piéger les insectes volants. Elle a été placée sur le point le plus venté de la Jaillière et fournira des informations sur l'influence de la bande fleurie à plus large échelle que la parcelle. (Photo Catherine Perrot)

Balbutiement des recherches

Après les premiers résultats sur l'effet quantifié de la bande fleurie sur auxiliaires et ravageurs, d'autres expérimentations devront encore être menées : il s'agira par exemple de tester les relations entre la nature des espèces végétales et celles des auxiliaires ou ravageurs, de déterminer le meilleur mode de gestion de la bande (destruction, gestion pérenne, valorisation en fourrage…), mais aussi de déterminer les risques de salissement des parcelles.

« Nous sommes encore aux balbutiements de ces recherches sur la biodiversité, commente Stéphane Jézéquel. Il faut se souvenir que nous sommes toujours dans une recherche de compromis : il faut des repères aux agriculteurs ; pour pouvoir faire évoluer leurs pratiques, ils ont besoin de connaître leurs degrés de liberté par rapport à la rentabilité de la culture. Plus l'agriculture française se portera bien, plus elle pourra agir en faveur de la biodiversité ».