Nouveaux fourrages (3/4) : « Le kernza, une céréale pérenne et mixte... enfin peut-être »

Dans l’Isère, Patrice Barrey fait partie du réseau expérimental mis en place à l’échelle nationale par l’Isara pour apprivoiser le kernza, culture pérenne susceptible de produire fourrages et grains au fil des ans. Un travail encore largement exploratoire mais passionnant, qui a reçu le soutien d’un projet Casdar mais aussi de financements européens.

On me sème une seule fois et je suis susceptible de produire au choix des grains et du fourrage pendant une dizaine d’années. Grâce à la couverture permanente du sol, je lutte contre l’érosion, je réduis les risques de lessivage et j’optimise le stockage de carbone dans le sol. Je suis suffisamment rustique pour m’affranchir de protection fongicide et insecticide. Mon système racinaire plongeant à plus de deux mètres me permet d’appréhender le changement climatique en utilisant de façon efficace les réserves hydriques et minérales. Qui suis-je ? Thinopyrum intermedium. Mais encore ? « Le kernza est une graminée originaire des plaines eurasiennes, explique Christophe David, directeur délégué en charge de la stratégie et du développement à l’Isara, l’école d’ingénieurs agronomes basée à Lyon (Rhône) et Avignon (Vaucluse). L’espèce a été domestiquée, il y a une vingtaine d’années en Amérique du Nord, sous l’égide du Land Institute, qui en assure la sélection ».

La céréale pérenne entre en production dès la première année et offrirait un optimum de rendement en grains les deuxième et troisième années
La céréale pérenne entre en production dès la première année et offrirait un optimum de rendement en grains les deuxième et troisième années

Christophe David découvre le kernza à l’occasion des voyages qu’il effectue dans le cadre du développement international de l’Isara et confie à Olivier Duchêne un travail de thèse sur la caractérisation de la plante, reposant notamment sur l’implantation et le suivi d’une dizaine de sites expérimentaux impliquant des agriculteurs, dont Patrice Barrey.

Deux ans après l’implantation, Patrice Barrey a récolté l’équivalent de 10 q/ha sur sa parcelle d’un peu moins d’un ha
Deux ans après l’implantation, Patrice Barrey a récolté l’équivalent de 10 q/ha sur sa parcelle d’un peu moins d’un ha

Une physiologie qui reste à découvrir

Nous sommes en 2018. L’agriculteur réserve un peu moins d’un hectare au kernza, dans la partie de son exploitation faite de marais, réservée habituellement aux cultures irriguées à fort potentiel (maïs et soja). « On a testé différents écartements, associés ou non au trèfle, avec différentes doses d’azote, explique Patrice Barrey, qui exploite 140 ha. Pour la première moisson, en 2020, on a récolté l’équivalent de 10 q/ha de grains ».

"Le kernza est une céréale feignante"

En 2020, il a implanté une seconde parcelle de 1,60 ha, récoltée en fourrage la première année, le ray-grass, espèce avec laquelle le kernza est relativement proche, s’étant invité. « Le kernza est une plante qui a du mal à s’installer et ce jusqu’au mois d’avril, son développement est ensuite impressionnant pour atteindre 10 à 15 tonnes de biomasse totale, analyse Christophe David. Il lui faut un peu de temps avant de couvrir le sol, ce qui l’expose à la compétition des adventices. En revanche, la culture est indemne de maladies et de ravageurs, en tout cas à ce stade ».

L’agronome toujours curieux se veut à l’inverse prudent car la culture du kernza sous nos latitudes pose davantage de questions que de certitudes. « En Amérique du Nord, la sélection a été orientée sur des cycles courts, du fait des contraintes climatiques », explique-t-il.

Parmi les principaux questionnements figurent son mode d’exploitation et sa capacité à produire durablement des grains, sachant qu’il ne faut pas attendre des rendements mirobolants, avec une fourchette comprise entre 10 q/ha et 20 q/ha en Amérique du Nord.

Récolte de fourrage dans une parcelle implantée en 2020
Récolte de fourrage dans une parcelle implantée en 2020

Projet Cerpet

Mais le kernza « made in France » a peut-être d’autres ressorts. Pour en avoir le cœur net, l’espèce va bénéficier d’un projet Casdar baptisé Cerpet (CERéales PErennes pour une Transition agro-écologique des systèmes de culture), piloté par Arvalis, associant l’Isara, l’Inrae (Clermont-Ferrand) ou encore le semencier Secobra, pas indifférent au profil agroécologique du kernza.

« Nous allons réaliser des essais durant quatre ans et sur trois stations expérimentales distinctes, explique Jean-Charles Deswarte, agronome et spécialiste en physiologie des plantes chez Arvalis. Dans le Rhône, nous allons étudier la réponse à l’eau, sur des sols superficiels et caillouteux, permettant d’extrémiser les conditions. Dans l’Essonne, nous allons comparer le kernza à une céréale de référence qu’est le blé et à une culture fourragère de référence qu’est la fétuque, dans un contexte à haut potentiel, avec comme variable la fertilisation azotée. Enfin dans les Pyrénées-Atlantiques, nous allons jauger la capacité du kernza à exploiter des conditions chaudes et humides et apprécier son potentiel méthanogène en deuxième coupe ».

Reconnecter l’élevage et les cultures

Au-delà des itinéraires techniques à construire, l’objectif du projet Cerpet est de tenter de définir la place, au sein des exploitations, d’une culture pérenne à double valeur d’usage, grain et fourrages, ce qui risque de prendre du temps, en terme d’adaptation génétique et culturale. « Si les expérimentations s’avèrent probantes, le kernza pourrait peut-être apporter sa pierre à la diversification de l’agriculture en réalisant un pont entre élevage et grandes cultures », estime Christophe David, qui voit dans la brasserie ou le sans gluten des débouchés potentiels aux grains. Ce qui passera au passage par la reconnaissance par l’UE de l’espèce en tant que nouvel aliment.

La bière pourrait constituer un débouché aux grains de Kernza
La bière pourrait constituer un débouché aux grains de Kernza

La reconnexion de l’élevage et des cultures, Patrice Barrey y songe fortement, avec la création programmée d’un atelier de poules pondeuses, portée par son fils Thomas, sur le point de rejoindre l’exploitation. En 2019, l’agriculteur s’était converti à l’agriculture biologique. « Je voulais sortir de ma zone de confort et de ma sole maïs soja blé, hyper ritualisée, explique-t-il. Le kernza est arrivé au même moment ». Pour ce qui est du rituel, le kernza, il y a de la marge...