Pastoralisme (2/5) : « Si on regarde par-dessus, on ne voit que des arbres. Et pourtant... »

A Brenac (Aude), le Gaec d’Amandine et d’Olivier Moreno est suspendu à l’avenir de la classe « 35% » qui leur permet de percevoir 35% des DPB sur une partie de leurs surfaces pastorales. Les brebis, les vaches et les juments comtoises en font pourtant leurs choux gras, au printemps et/ou à l’automne. C’est ça ou la fermeture des milieux. Et de la ferme.

« Y a pas photo », comme on dit pour souligner une évidence. Dans la haute vallée de l’Aude, au Gaec du Roc, les 227 hectares de parcours assurent les deux tiers de la ressource alimentaire des 560 brebis (Lacaune, Blanche du Massif central) des 30 vaches (Aubrac, gasconne) et des 7 juments comtoises. Le solde est assuré par la production de céréales sur environ 10 ha et de prairies temporaires, où la luzerne figure en bonne place. « Et pourtant, si vous preniez une photo vue du ciel, vous ne verriez que des arbres ou en tout cas beaucoup d’arbres », déclare Olivier Moreno, au milieu d’une parcelle classée «35%», « alors qu’elle vaut peut-être 60% mais on a tellement la trouille des contrôleurs ».

R. Lecocq
Olivier et Amandine Moreno, du Gaec du Roc, à Brenac (Aude)

Mais pourquoi diable prendre une photo vue du ciel ? C’est parti pour une petite leçon d’agroécologie. « Parce que les photos de satellites, c’est peut-être ce qui va précipiter la fin de certaines aides surfaciques, sur des parcelles boisées, au motif qu’elles ne nourrissent pas les animaux », répond l’éleveur.

"Les glands, c’est un mois de nourriture et des brebis qui ressortent rondes comme des cochons"

« La réalité, c’est que de telles parcelles sont essentielles dans mon système d’exploitation, poursuit-il. Sous les pins sylvestres, sous les chênes pubescents ou encore sous les genévriers, vous avez de la molinie ou de la filante de Montpellier que les bêtes vont valoriser au printemps. On va laisser certaines parcelles tranquilles pour n’y revenir que l’année suivante, le temps qu’elles refassent leurs réserves. Les anciens y revenaient tous les deux ans. Sur d’autres, on va revenir à l’automne. Certaines espèces auront accumulé un peu de sucre dans l’été, ce qui va assurer trois mois de nourriture aux brebis et aux vaches, de août à octobre. Il faut aussi compter avec les glands. Si la production est bonne (ce n’est malheureusement pas le cas cette année), les glands, c’est un mois de nourriture et des brebis qui ressortent rondes comme des cochons, avec zéro problème sanitaire grâce aux effets du thym. Et pour finir, je fais pâturer les juments qui ne nous rapportent rien, mais qui nous évitent de la dépense, du temps et de l’énergie dans un gyrobroyeur, afin de prévenir les risques de fermeture du milieu ».

S’adapter au milieu, aux consommateurs, aux prédateurs

En voilà un petit précis précieux de zootechnie, d’agronomie, d’agroécologie et de mécanique, on vous avait prévenu. Un précis qui passera immanquablement sous les radars de Bruxelles, au cas où la Commission déciderait de solliciter les satellites pour simplifier la reconnaissance des surfaces pastorales, au risque d’écarter des parcelles et des systèmes totalement légitimes pour ne pas dire futuristes, en ces temps de Green deal et de Farm to fork.

A la ferme de Pratx comme ailleurs, les aides Pac associées au pastoralisme sont vitales et les incertitudes inhérentes à chaque nouvelle réforme toujours plus difficiles à vivre. Depuis une petite dizaine d’années, le Gaec tente de s’en émanciper en allant chercher de la valeur ajoutée via la vente directe de ses viandes ovine et bovine, la vente de bois (papèterie, plaquettes) ou encore la diversification. « Il y a quelques années, nous avons entrepris la plantation de 4 hectares de vigne, en cave particulière, déclare Amandine Romero, la sœur d’Olivier. C’est un retour aux sources puisque nos ancêtres cultivaient ici de la vigne en 1870. Nous nous apprêtons par ailleurs à planter des pistachiers et des amandiers ».

« L’amandier est bien adapté à la région et il est en phase avec les attentes des consommateurs, qui se portent toujours davantage sur les produits végétaux au détriment de la viande, ajoute Olivier. La parcelle sera clôturée afin d’y faire pâturer les brebis en toute tranquillité, à l’abri des prédateurs ». Agroécologie toujours.

R. Lecocq
La cave du Gaec du Roc

Prédateurs et gros gibier

Dans ce recoin du Pays Cathare, ce n’est pas le loup qui menace, une « bête électorale », juge l’éleveur. « Ici les prédateurs, ce sont les chats sauvages, les renards, les corbeaux et dans une moindre mesure les vautours mais personne n’en parle. Pour les cultures, c’est les sangliers qui nous infestent. Je paie spécialement quelqu’un pour clôturer les parcelles les plus rentable mais il ne faut pas escompter pouvoir cultiver du pois ».

En raison des prédateurs, les éleveurs ont dû modifier leurs pratiques. « Au moment des agnelages, on est obligé de rentrer les brebis deux mois en bergerie alors que l’on avait conçu des petits parcs dédiés près de l’exploitation, confie Amandine Moreno. Avant, vous meniez un agneau à 20 kg sans charges, c’est inimaginable aujourd’hui ». La menace alourdit la charge de travail et pèse sur les finances. Or ce sont les ovins qui représentent l’essentiel de l’activité de l’exploitation, en attendant la montée en puissance du vin et des amandiers.

"La brebis, c’est le don de soi"

Olivier et Amandine Moreno se désolent de travailler tous les jours pour arriver au point zéro sur l’atelier ovin, c’est à dire ne pas perdre d’argent. Passionné par l’espèce, l’éleveur ne se résout pas à l’état de fragilité économique qui la caractérise. « La brebis est une espèce un peu fragile, qui craint le surnombre, le parasitisme, et qui réclame beaucoup d’attention de la part de l’Homme, avec des agneaux qui ont vite fait de s’égarer. Les anciens ont façonné une espèce parfaitement complémentaire de la vache ou de la vigne mais leur mode de vie pouvait s’accommoder d’une présence de tous les instants, ce qui est beaucoup plus compliqué dans notre société actuelle. La brebis, c’est le don de soi. Nous, on essaie de faire de l’agneau de qualité mais la viande d’agneau n’est plus non plus dans les mœurs. Avant, on préparait un feu des heures durant pour déguster une côtelette d’agneau. C’était aussi un don de soi.  Je me bats pour que l’on ne perde ni cette odeur ni cette saveur ». Le don de soi : pas sûr que les images satellite le captent.

Tous les articles de la série :

Pastoralisme (1/5) : pour ne pas rayer de la carte 10 millions d’hectares

Pastoralisme (2/5) : « Si on regarde par-dessus, on ne voit que des arbres. Et pourtant... »

Pastoralisme (3/5) : « Un BTS pastoralisme, option sortie du métier »

Pastoralisme (4/5) : l’estive, une science à part entière

Pastoralisme (5/5) : de la Haute valeur naturelle à la haute valeur sociétale