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Pastoralisme (5/5) : de la Haute valeur naturelle à la haute valeur sociétale
En France, la géographie du pastoralisme se fond avec la carte des zones reconnues en Haute valeur naturelle (HVN). Si le pastoralisme sacralise la biodiversité, il fait aussi le job en matière de prévention des incendies, des avalanches ou encore des éboulements. Les surfaces pastorales, c’est aussi un formidable puits de carbone. Bref, un véritable service public, auquel on pourrait aussi greffer des vertus sanitaires, si l’on songe à la crise du coronavirus, auquel l’agropastoralisme a servi d’échappatoire l’été dernier. Au risque de quelques excès.
« Une réunion d’écologistes » : c’est en ces termes que Florent Guhl, directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) de la région Occitanie a conclu le séminaire dédié aux surfaces pastorales, organisé début octobre à Ax-les-Thermes (Ariège), par les Chambres d’agriculture, la Fnsea et les JA. « Pendant deux heures, en vous écoutant, je n’ai entendu parler que d’écologie, c’est à dire d’interactions entre les hommes et les animaux au sein du milieu dans lequel ils cohabitent ».
Face au directeur régional de l’Agriculture, représentant le ministre de l’Agriculture empêché, foin de militants environnementalistes mais des pratiquants purs et durs du pastoralisme, en provenance des tous les territoires, Corse incluse, venus décrire par le menu leurs systèmes d’exploitation, presque aussi nombreux que les 40.000 exploitations pratiquant l’agropastoralisme.
Il y avait aussi des eurodéputés et des députés, en quête de souffle et de ressources sur le sujet, et deux grands absents, le loup et l’ours, que les éleveurs ont feint d’ignorer jusqu’à la fin et en dépit d’une grosse faim d’en découdre. Revenons à nos moutons. « Dans le massif des Pyrénées, 100% des estives sont classées en Haute valeur naturelle, souligne Philippe Lacube, président de la Chambre d’agriculture de l’Ariège et de l’Association des chambres d’agriculture des pyrénées (Acap), grand ordonnateur du séminaire. 60 % des estives sont en zones Natura 2000 et 50% sont localisées dans les Parcs naturels. Pardonnez-moi pour ces chiffres mais le concours du pastoralisme à la biodiversité, c’est tout sauf des incantations ».
HVN et Natura 2000
En France, la géographie du pastoralisme se fond avec la carte des zones reconnues en Haute valeur naturelle (HVN). Selon le ministère de l’Agriculture, la HVN représentait en 2010 environ 5 millions d’hectares, soit 18 % de la SAU. La cartographie révèle la prégnance des contraintes naturelles que sont les zones de moyenne et haute montagne, aux côtés des vallées et estuaires des grands cours d’eau. Autre point commun aux zones HVN : la présence systématique d’activités d’élevage.
Si le pastoralisme est en grande partie constitutif de la HVN, il fairt valoir ses aménités bien au-delà, si l’on considère que les surfaces en prairies et pâturages permanents couvrent un tiers de la SAU. « Dans tous les documents d’objectifs de Natura 2000, le premier enjeu cité réside dans le maintien des espaces ouverts par le pastoralisme, quand ce n’est pas écrit le pastoralisme tout court », déclare François Regnault, technicien à la Fédération pastorale de l’Ariège. Côté biodiversité, fermez le ban.
Mais là se s’arrêtent pas les aménités du pastoralisme. « Le pastoralisme, c’est aussi la prévention des risques tels que les incendies et les glissements de terrain, déclare Jeanine Dubié, députée des Hautes-Pyrénées, présidente de l’Association nationale des élus de montagne (Anem). Qui va entretenir la rigole en montagne ? Certes le pastoralisme contribue à la biodiversité, mais le pastoralisme ne doit pas être assimilé à un conservatoire de la faune et de la flore. Nous, élus de la montagne, nous voulons une montagne vivante, avec des éleveurs et leurs activités pastorales, créatrices de richesse pour eux et pour la collectivité, pour les artisans, pour les commerces, pour les écoles, pour les services publics ».
Services marchands et non marchands
Les acteurs du pastoralisme ont fait leurs comptes : leurs activités génèrent plus de 250.000 emplois directs et indirects et représentent un potentiel économique de 8 milliards d’euros, auquel s’ajoutent 10 milliards d’euros de services non marchands. « Ils résident dans la préservation de la biodiversité, la prévention des risques naturels, le façonnement des paysages, précise Patrick Escure, président de la Chambre d’agriculture du Cantal. C’est aussi l’atténuation du changement climatique car nos territoires sont le support d’un captage phénoménal de carbone. Le pastoralisme, c’est aussi le garant d’un patrimoine culturel et de savoir-faire ancestraux ». La preuve en a encore été donnée récemment avec l’inscription des savoir-faire et des pratiques de la transhumance à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel de la France, en attendant, c’est à l’étude, l’inscription au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
Et pourtant, tous ces services publics et non marchands, sont encore plus ou moins bien reconnus et plus ou moins bien défrayés la collectivité. « Si les politiques publiques ne reconnaissent pas les surfaces pastorales à leur juste valeur, les agriculteurs ne pourront plus vivre sur ces territoires, alerte Christine Valentin, présidente de la Chambre d’agriculture de Lozère et du Service interdépartemental pour l’animation du Massif central (Sidam). La première de ces politiques, c’est l’ICNH, qui nous permet de compenser les défauts de compétitivité de cette agriculture, qui demeure néanmoins incomplète et sur laquelle pèsent des menaces dans le cadre de la prochaine réforme de la Pac ».
Les élus n’ont pas forcément attendu le séminaire d’Ax-les-Thermes pour porter le fer. « L’éligibilité des prairies méditerranéennes aux aides de la PAC est déficiente », reconnaît Irène Tolleret, eurodéputée (Renaissance). « Pour y remédier, nous avons déposé un amendement, lequel a été intégré dans les compromis sur la réforme de la Pac, qui seront votés dans deux semaines. Je me bats par ailleurs pour conserver la totale reconnaissance du rôle environnementale de l’Ichn, alors que des groupes comme les Verts affirment qu’elle n’apporte aucun bénéfice environnemental et que cette aide ne doit plus être inclue dans le calcul du 30% des fonds du Développement rural consacrés à l’environnement et le climat ».
Le multi-usages : atouts et limites
Si l’Ichn n’a pas de vertu environnementale, les surfaces pastorales pourront peut-être jouer sur la fibre sanitaire. La crise du coronavirus, le confinement puis sa sortie, ont en effet créé un formidable appel d’air pour les territoires ruraux et pour la montagne en particulier, ce dont les éleveurs ont été témoins l’été dernier. Jusqu’à l’excès ? « Au sein de notre groupement pastoral, on a eu jusqu’à 30 000 visites par jour, déclare Christophe Léger, éleveur à Saint-Jorioz (Haute-Savoie), président du Suaci Montagn’Alpes. A ce rythme-là, les éleveurs se demandent s’ils vont pouvoir tenir encore dix ans et s’ils ne risquent pas à terme, de se faire sortir des territoires, eux et leurs vaches ».
« On a vu du grand n’importe quoi cet été, je me demande comment on n’a pas eu d’accident grave, confirme Hervé Peloffi, éleveur transhumant sur l’estive du Roc de Scaramus, à Prades (Ariège), dont il est aussi le maire. Nous sommes sur des territoires ouverts, accessibles à tous, mais rendus comme tels parce qu’il y a des acteurs économiques, c’est à dire des éleveurs. Le pastoralisme, la montagne, ce sont des territoires multi-usages, très bien. Il faut que les gens viennent, ne serait-ce pour qu’on puisse leur vendre nos fromages. Mais il y a des règles et il ne faut pas hésiter à les rappeler et à les faire appliquer ».
Les représentants des différents massifs ont prévu de se concerter pour harmoniser, au plan national, la signalétique et les règles à suivre pour faciliter la cohabitation entre tous les acteurs. Puissent le loup et l’ours apprendre à lire. Depuis tout petit, on nous a tant raconté d’histoires les concernant. A eux aussi de nous lire. Et de nous calculer.