Plantes de service : le long labeur des chercheurs

Utiliser des plantes de service pour repousser les bioagresseurs des cultures : le principe est intéressant, en phase avec les objectifs de réduction de l'emploi des produits phytosanitaires et de développement de l'agroécologie. Toutefois, de l'idée à l'application sur le terrain, le parcours est long et semé d’embûches. Exemple avec des travaux de recherche autour de la régulation de la mouche du chou.

Comme monsieur Jourdain s'exprimait en prose sans le savoir, les agriculteurs font depuis très longtemps « des plantes de service » sans forcément les nommer ainsi : les cultures intermédiaires qui piègent les nitrates en hiver et améliorent la structure du sol, ce sont des plantes de service ; les plantes compagnes dans le colza, qui apportent de l'azote à la culture et perturbent les ravageurs, ce sont aussi des plantes de service ; les haies bocagères qui hébergent des auxiliaires et luttent contre l'érosion des parcelles, encore des plantes de service ; les arbres dans les prairies qui procurent de l'ombre aux animaux, toujours des plantes de service.

Des services écosystémiques (pour l'Homme)

Le concept de « plante de service » est désormais employé de manière générique pour désigner toutes les espèces végétales qui ne sont pas « la culture principale », mais qui apportent un ou plusieurs services à la culture de rente. Ces services sont dits écosystémiques car ils sont évalués à l'échelle d'un écosystème : une parcelle, une parcelle et ses abords, voire un paysage entier. Cette notion de « services écosystémiques » (pour l'Homme) a été formalisée dans le rapport « Évaluation des écosystèmes pour le millénaire », réalisé pour l'ONU entre 2001 et 2005 par plus d'un millier d'experts.

Représentation des services écosystémiques : bénéfices que les hommes tirent des écosystèmes.

Utilisées depuis très longtemps de manière plus ou moins empirique, les plantes de service font désormais l'objet de nombreuses études scientifiques, en particulier autour de leur rôle pour limiter l'impact des bioagresseurs. Elles sont en effet des leviers intéressants pour réduire l'emploi des produits phytosanitaires : les plantes de service peuvent avoir un rôle direct en repoussant les bioagresseurs, ou un rôle « indirect » en attirant, hébergeant et nourrissant leurs ennemis naturels.

Des exemples au Sival

Sujet « à la mode », les plantes de service ont fait l'objet de plusieurs présentations dans le cadre du Sival, le salon des productions végétales spécialisées qui s'est tenu récemment à Angers. Les travaux de recherches sont particulièrement dynamiques dans le secteur des fruits et légumes, car ce sont des productions soumises à des contraintes strictes en termes de résidus phytosanitaires, à des limitations des solutions chimiques disponibles (parfois des impasses), à une forte demande sociétale de « naturalité », mais en même temps à la nécessité d'être commercialisables...

« Beaucoup de choses se passent en ce moment autour des plantes de service », présente Anne-Marie Cortesero, chercheuse à l’Institut de génétique, environnement et protection des plantes de l'Inrae de Rennes. Les travaux sur le sujet sont même tellement nombreux qu'une base de données sur les plantes de service est en cours de création sous l'égide de l'Inrae. « Cette base va nous permettre de centraliser les connaissances sur les espèces végétales, d'identifier quelles sont les plantes les plus adaptées pour lutter contre un ou des ravageurs ».

Un travail de fourmi

C'est en effet l'une des énormes difficultés liées aux plantes de service : contrairement à des insecticides ou à des fongicides qui peuvent être employés sur plusieurs ravageurs et qui ont à peu près partout le même effet, les plantes de services sont souvent spécifiques d'un seul ravageur et ne sont pas compatibles avec toutes les conditions culturales (climat, saison, abris, plein-champ...).

Durant leur conférence au Sival, Anne-Marie Cortesero et Thomas Deslandes, ingénieur au CTIFL, ont évoqué un exemple de recherche conduite en collaboration par leurs instituts sur la mouche du chou. Malgré son joli nom, Delia radicum est un ravageur redoutable de nombreuses brassicacées : la femelle pond ses œufs au collet des plantes et les larves qui éclosent creusent des galeries dans les racines et dans les tiges des plantes. Si elle n'est pas régulée, la mouche du chou peut réduire quasi à néant des parcelles entières de brocolis.

La mouche du chou, Delia radicum, pond au collet des plantes brassicacées. (photo Université Rennes 1)

Pour trouver une plante capable de repousser Delia radicum, les chercheurs ont commencé par un screening en laboratoire, c'est-à-dire tester, dans des cages, le comportement de ponte des mouches sur des plants de brocolis associés, ou non, à de nombreuses plantes. « Nous avons testé 55 espèces de plantes, de 17 familles différentes », décrit Anne-Marie Cortesero. D'emblée, les chercheurs ont axé leurs recherches sur des plantes odorantes : basilic, sauge, cresson, romarin, lavande, oeillet d'inde...

Deux plantes efficaces pour réduire les dégâts de Delia

A l'issue de cette longue phase de tests, ils ont déterminé que 15 plantes avaient un effet de réduction de la ponte de la mouche sur le brocoli. Toutefois, pour 13 de ces plantes, la réduction n'était pas d'ampleur suffisante pour réduire les dégâts de la mouche du chou. « Seules deux plantes avaient un effet agronomiquement intéressant. Nous ne dévoilerons leur nom qu'à la fin de notre programme de recherche », poursuit Anne-Marie Cortesero.

Sans traitement, Delia radicum est capable de dévaster des champs entiers. (photo Cate Saint-Pol-de-Léon).

Les essais sur ces deux plantes se sont poursuivis en condition d'infestation naturelle par la mouche du chou et la réduction de ponte sur brocolis en présence de ces plantes a été confirmée. La phase suivante a été l'expérimentation en conditions de production, en plein champ : là encore, la réduction de 60 à 70% de la ponte a été confirmée, les meilleurs résultats étant obtenus lorsque la plante de service était directement associée au brocoli, dans la même mini-motte.

Prometteurs, ces résultats ne sont toutefois pas sans poser question : en effet, associer des plantes de service aux brocolis impose de modifier complètement les itinéraires techniques de cette culture : les pépinières de plants devront semer deux espèces dans la même motte, les deux plantes devront croître à la même vitesse mais sans se concurrencer, les questions du désherbage, de la récolte et de la destruction de la plante de service se poseront aussi. De quoi alimenter encore de nombreux programmes de recherche.